SA La P
Doute que les étoiles soient de feu,
Doute que le Soleil se meut,
Doute que la vérité mente elle-même
Mais ne doute pas que je t'aime.
William Shakespeare. Macbeth
En 1547, le seul allié et ami de Catherine, François 1er meurt. Nous mettons à contribution le fameux tercet de Brantôme pour
expliquer les causes d'une maladie mortelle qui ont conduit le roi à Saint-Denis :
L’an mil cinq cent quarante-sept, François mourut à Rambouillet
De la vérole qu’il avoit.
Henri II lui succède et chasse sans ménagement les conseillers du défunt, voire les condamne. Catherine est désormais seule.
Même si le roi de nature pudique, secret, et par respect pour Catherine n'affiche pas ouvertement ses amours, tout le royaume sait qu'il consume et se consume sous le regard de braise de sa
Diane.
Il semble que pour lutter contre "la chasseresse", Catherine invente la monte en amazone, technique d’équitation lui permettant de montrer ses jambes, lors des chasses. Elles les avaient fort
jolies, dit-on. Et l'historien G. Lenotre de préciser
[...] le « beau tour de ses jambes gainées de soie bien tirée » est vanté par le chroniqueur Antoine Varillas, qui, d’ailleurs, ne les avait pas vues, étant né trente-cinq ans après que la
reine fût morte, et qui passe, en outre, pour être l’ancêtre de l’Histoire romancée.[...]. (Source : wikisource.org)
De ses chasses à courre où elle excelle, Catherine a laissé son nom attaché à l’arbalète à jalet, dont un modèle lui ayant appartenu
est visible au Musée de l'armée.
Nullement troublé par les mollets de Catherine, Henri réserve la pratique des jambes en l'air à Diane. La favorite règne sur le cœur du roi, sur ses décisions politiques et sur le royaume,
par le biais d'affidés placés aux postes de commande. La charge de l'éducation des enfants royaux lui est confiée.
Le sacre et couronnement d'Henri II avait été pour Catherine une première humiliation, Diane y tenant le premier rôle, un rôle reléguant dans l'ombre l'épouse royale. Mais ce n'était là que le début d'autres outrages.
Le 10 juin 1549, dans la basilique de Saint Denis, Catherine de Médicis est solennellement sacrée reine de France. Diane de Poitiers, en charge du protocole, assiste à la cérémonie, au premier rang. Elle est accompagnée de ses deux filles, Françoise, duchesse de Bouillon, et Louise, marquise de Mayenne, l'aidant dans sa charge.
Comme la reine, les princes et princesses de sang, les ducs et duchesses, le manteau de cérémonie de la favorite est brodé d'hermine. Autorisée par le roi, Diane a bafoué le protocole, mais elle compte bien aller plus loin, en ce jour qu'a priori elle ne peut ravir à la reine Catherine.
Une fois que Catherine a été couronnée avec la lourde couronne de tradition gemmée, Louise de Mayenne vient l'en décharger pour lui permettre de suivre plus aisément la suite de la longue cérémonie. Ce que le protocole n'avait pas prévu, c'est que la seconde fille de Diane vienne déposer ostensiblement au pied de sa mère, la couronne des reines de France.
Catherine feint de n'avoir rien vu ; la cour stupéfaite hésite sur l'attitude à tenir face à un tel scandale. Henri, le taciturne qui a toujours veillé à éviter dans ses affaires de cœur d'humilier son épouse, muet, joue l'aveugle.
Même si son cœur d'amoureuse n'en fait qu'à sa tête, Catherine transie d'amour et humiliée cache sa douleur et se tait. En bonne Médicis, elle attend son heure. Peut-être en relisant le Traité de Machiavel, pour y trouver les conseils délivrés à son père, Laurent II de Médicis. Pour ce Florentin, "la fin justifie les moyens". Et si pour parvenir à ses fins Catherine ne dispose comme armes que la ruse et la dissimulation
Catherine avance ses pions avec ses seules faibles armes, au milieu d'une cour acquise à Diane. Ainsi en 1552, en guerre contre Charles Quint, Henri II lui confie une régence symbolique où elle n'a aucun pouvoir.
En réalité elle a des tâches d’intendance. A en juger par la lettre qu'Henri lui envoie, il est très loin d’être satisfait de la manière dont elle s’acquitte de son travail. "Ma mie vous m’écrivez que la provision de vivres se continue par-delà, mais je vous avise qu’ici nous ne sommes aucunement sentis des secours qui soient venus de votre côté".
Mais cette première régence est une première marche gravie vers les responsabilités. Aussi, Catherine avale cette couleuvre en redoublant d'humilité. Son heure viendra.
On utilise la formule de Simone de Beauvoir, "On ne nait pas femme, on le devient" pour assurer que
Catherine aurait pu la faire sienne : «On ne nait pas reine, on le devient».
Elle va le prouver. Le 10 août 1557, Saint Quentin se rend à Philippe II, le fils de Charles Quint. La quasi-totalité des forces armées françaises qui y étaient enfermées se livre avec armes et bagages à l'envahisseur espagnol. Désormais la route de Paris est ouverte. Henri II a besoin de sommes colossales pour lever dans l'urgence de nouvelles troupes. Absent de Paris pour organiser dans l'Est une résistance désespérée, il missionne Catherine en tant que régente, pour trouver les montagnes d'or dont il a besoin pour barrer la route de la capitale.
Placée au-devant de la scène de France à un moment désespéré, Catherine ne va pas laisser se prendre au dépourvu. Elle est
prête depuis de longues années à assumer de grands rôles, et celui de reine lui revient de droit. Son auditoire parisien n'a qu'à retenir son souffle, pour un moment qui n'a rien d'une
fiction !
En bonne dramaturge, elle s'investit dans un rôle politique qui va la précipiter sur scène sans qu'elle eu le temps de s'y préparer.
Elle improvise avec brio.
Solennellement elle quitte le Louvre, portant le masque de la douleur. Son peuple est massé sur son parcours. Aux Parisiens, elle apparait dans une attitude doloriste, raide, figée et muette dans son carrosse, les lèvres serrées, le regard fixé sur un horizon incertain vers lequel l'ennemi espagnol se porte. Catherine hiératique se tait tout en communiquant par cette théâtralité orchestrée, sur la gravité du moment. Catherine a transporté le spectacle du palais dans la rue.
Catherine sait qu'il y a des attitudes pleines d'émotions qui se passent des bavardages, et des soupirs valant
mille mots. Comme dans les meilleures pièces théâtrales, toute l'intensité du drame est dans le silence d'une expression. Le scénario
anxiogène de Catherine est donc sans texte !
Les petites douleurs s'expriment, les grandes se taisent. Et ces dernières sont familières à Catherine.
La tragédie est assurément pour elle. Le scénario dont elle est la protagoniste débute dans un excès de théâtralité par un déploiement solennel qui pourrait servir au morne cortège d'un roi mort, accompagné par la Cour, au sépulcre de Saint-Denis.
Mais ce n'est que l'entracte, pour un jeu d'acteur à suivre.
Habillée de noir, accompagnée d'une suite nombreuse, la régente se dirige en une longue et lente proceffion vers l'hôtel de ville. L'heure est à l'urgence, mais rien ne presse Catherine.
Comme Catherine, ses dames de compagnie qui l'entourent, graves, ont revêtu les couleurs funèbres qui pourraient draper un royaume moribond. Une
sorte de pompe mortuaire, antique et royalement théâtrale, pour une France au bord de l'abîme. Et dans tout ce déploiement protocolaire, seule Catherine retient l'attention des spectateurs. Pour
cette excellente artiste, les membres de la cour sont des figurants qui "font tapisserie" dans le décor.
Arrivée à l'hôtel de ville, c'est une femme humble qui quitte cette parade royale pour se présenter devant les riches notables et bourgeois parisiens. Dans un genre théâtral nouveau, elle va leur donner le sentiment qu'ils vont en avoir pour leur argent, même si l'urgence lui commande de leur en soutirer le plus que possible. Devant eux, l'élite fortunée parisienne, on l'imagine les yeux baissés, et retrouvant la parole pour accomplir sa mission. Les larmes dans la voix, mais pudique dans une douleur et des gestes retenus qui lui siéent à merveille, elle prend le ton qui convient à l'assemblée. Elle leur dit à peu près ceux-ci, mais en y mettant les formes : Messieurs, me voici pour fouiller et vider vos bourses, le royaume a besoin de votre or et je suis là pour ça.
Et on suppose que si enfin elle ose les regarder, c'est avec des yeux de chien battu. Les trémolos dans la voix, en se souvenant qu'elle a échappé enfant au viol des Florentins révoltés contre les Médicis, elle ajoute certainement comme argument une émouvante description d'un Paris à feu et à sang, femmes et enfants livrés aux barbares espagnols. Son talent et son éloquence font le reste.
On peut concevoir que Catherine a regagné satisfaite son palais. Catherine peut se réjouir de ce coup
d'essai : elle n'a pas eu besoin des trois
coups du brigadier pour captiver son public. À chaque acte, elle a su valoriser les effets de sa propre mise en scène.
Probablement, si le drame d'une invasion n'avait pas menacé la capitale, elle aurait ajouté à la fin du dernier acte :
"Si la pièce vous a plu, donnez-lui vos applaudissements,et tous ensemble, manifestez-nous votre joie".
On ne doit pas oublier, même si cet aspect de sa personnalité n'est pas développé, que Catherine avait un grand sens de l'humour !
À défaut d'afficher sa relation avec Henri comme exemplaire du couple parfait, Catherine a démontré que le duo royal avait bien fonctionné !
La reine obtient des sommes inespérées utilisées immédiatement par son royal époux. Laissant à son souverain les opérations militaires dans l'est de son royaume, le duc de Guise dans une manœuvre qui surprend Philippe II et ses alliés anglais s'empare en huit jours de Calais le 4 janvier 1558 (la ville était depuis la guerre de Cent Ans toujours anglaise).
Grâce aux 300 000 livres tournois des Parisiens (soit 5,227 millions d'euros) et des levées d'impôts exceptionnels permis par les États Généraux, Henri II se trouve à la tête de nouvelles troupes dont le nombre surprend Philippe II qui lui de son côté a licencié la majorité de ses soldats, persuadé que la France était à genoux.
Le royaume est sauvé. L'énergie du roi, le génie militaire du duc de Guise y sont pour beaucoup, mais Catherine a prouvé qu'elle a tous les atouts d'un bon politique et qu'elle n'a pas démérité à la fonction qui a été la sienne ; son jeu dans le drame qui s'est déroulé aux portes de Paris n'avait rien de celui qu'on confie à une simple figurante.
Elle vient de prouver qu'elle est une Médicis, une femme capable face à l'adversité, une actrice des destinées futures du royaume.
Pour Marie Tudor, l'épouse anglaise de Philippe II, la chute de Calais est un traumatisme qui aura raison de sa vie.
Politiquement, la perte de cette ville symbole et stratégique pour les Anglais, est un choc national et Marie en porte toute la responsabilité. Calais est tombé le 4 janvier 1558 : Marie Tudor, la reine sanglante, s'éteint de chagrin le 17 novembre 1558.
Avant de rendre l'âme, elle avait assuré que si on ouvrait son cœur après sa mort, on y trouverait gravé le nom de Calais. Épuisés, les belligérants décident de mettre un terme au conflit.
Les 12 mars et 2 avril 1559, Henri II conseillé principalement par Diane de Poitiers signe la paix de Cateau-Cambrésis, respectivement avec Élisabeth 1ere, la nouvelle reine d’Angleterre et avec Philippe. Cette décision ne fait pas l’unanimité. En effet, la France qui est victorieuse rend de nombreux territoires. Quelques exemples. Au Nord, le royaume cède à la gouvernante des Pays-Bas, Marie de Hongrie, sœur de Charles-Quint, de riches terres conquises par le roi en Flandre. Au Sud-Est, Henri II perd la Savoie ; en méditerranée, il cède la Corse à la république de Gênes....
On pourrait poursuivre, mais le point le plus marquant du traité est l’abandon par le roi de France, de ses prétentions sur des territoires Italiens. Même si Philippe II retire de Picardie ses troupes de villes conquises par les Espagnols, beaucoup pensent côté Français que ce traité est inéquitable pour la France. Catherine est de ceux-là. Elle hurle de douleur et de rage, car ce pacte franco-espagnol fait perdre une grande partie des possessions italiennes à la France. Le pacte enterre définitivement les ruineuses interventions des souverains Français dans la péninsule italienne.
Pour Henri II, le traité met un terme à quarante années de conflits quasi ininterrompus entre le royaume de France et l’empire des Habsbourg. en cela il présente une grande avancée Catherine ne mesure pas cela. Elle pleure les droits légitimes mais abandonnés des rois de France en Italie. Désespérée elle se jette au pied du roi, il l'a rabroue, et la renvoie, sourd à ses supplications.
Croisant Diane de Poitiers dans un couloir du Louvre, Catherine, pour une fois incapable de feindre, donne libre cours à sa fureur...avec mesure.
Elle desserre ses lèvres pour cracher son venin. Et vipérine, de lancer à la favorite, assez fort pour être entendue de tous "En ce royaume les putains ont souvent dirigé les affaires des rois".
On pourrait poursuivre, mais le point le plus marquant du traité est l’abandon par le roi de France, de ses prétentions sur des territoires Italiens. Même si Philippe II retire de Picardie ses troupes de villes conquises par les Espagnols, beaucoup pensent côté Français que ce traité est inéquitable pour la France. Catherine est de ceux-là. Elle hurle de douleur et de rage, car ce pacte franco-espagnol fait perdre une grande partie des possessions italiennes à la France. Le pacte enterre définitivement les ruineuses interventions des souverains Français dans la péninsule italienne.
Pour Henri II, le traité met un terme à quarante années de conflits quasi ininterrompus entre le royaume de France et l’empire des Habsbourg. en cela il présente une grande avancée Catherine ne mesure pas cela. Elle pleure les droits légitimes mais abandonnés des rois de France en Italie. Désespérée elle se jette au pied du roi, il l'a rabroue, et la renvoie, sourd à ses supplications.
Croisant Diane de Poitiers dans un couloir du Louvre, Catherine, pour une fois incapable de feindre, donne libre cours à sa fureur...avec mesure.
Elle desserre ses lèvres pour cracher son venin. Et vipérine, de lancer à la favorite, assez fort pour être entendue de tous "En ce royaume les putains ont souvent dirigé les affaires des rois".
Des clauses du traité de paix du Cateau-Cambrésis prévoyaient de consolider les engagements des souverains par deux unions matrimoniales. En ces temps là, le mariage était un outil au service des diplomaties royales.
Ainsi, la fille d'Henri II, Élisabeth épousera Philippe II (désormais veuf de Mary la Sanglante) et Marguerite de France, la sœur d'Henri II, s'unira à Emmanuel-Philibert, duc de Savoie.
Pour fêter ce double mariage, des réjouissances se déroulent à Paris, en juin 1559.
L'époux espagnol plus pressé par les affaires d’État que par ses épousailles n'est pas à Paris ; il est représenté par le comte d'Egmond, le prince d'Orange et le duc D'albe. C'est ce dernier qui a épousé par procuration la fille du roi. Les festivités qui s'étalent sur plusieurs jours comprennent des joutes équestres auxquelles le roi, âgé de 40 ans, a décidé de se mesurer a plus jeune que lui.
Remontons le temps, en recréant la scène, avec quelques artifices, mais sans altérer la réalité des faits. Ce qui suit se passe à Paris, juste à côté d'une des résidences parisiennes d'Henri II, l'Hôtel des Tournelles appelé aussi Hôtel du Roi ou Hôtel Neuf (qui serait situé au nord de la place des Vosges et donnant sur la rue Saint-Honoré).
Le site retenu est assez exceptionnel dans un Paris fortement urbanisé. Près de la résidence royale, la rue Saint-Antoine en son début est assez large pour donner un dégagement digne d'une place. C'est l'endroit choisi, car après la rue qui remonte vers la Bastille se rétrécit énormément.
30 juin 1559. Dans le ciel, un disque d'or incandescent s'est invité. Les nuages ont glissé jusqu'à disparaitre derrière un horizon effacé. Reste un ciel cérulé qui se confond avec l'azur des bannières royales. Le temps est beau, bleu sur bleu, bleu profond et insaisissable comme l'air et la "feste" bat son plein. Personne n'y prend garde, mais l'azur est si intense qu'il en devient abyssal. dans cet abime ouvert, un royaume pourrait s'y perdre ou un roi y chercher l'éternité..
Le site où se déroule les "jouxtes à lance mornée, esté plantées" de barrières.
La rue a été dépavée et recouverte de sable. Des penons, oriflammes, gonfanons accrochés aux murailles des Tournelles dissimulent les façades du palais. "Les maifons étoient ornés fur le devant de riches tapifferies". Les armoiries d'Espagne et de Savoie voisinant avec celles de France, rappellent la qualité des hôtes dans un environnement diapré. Des arcs de triomphe permettent d'accéder au site.
De part et d'autre de la lice, se faisant face, disposés latéralement à la rue, des échafauds richement décorés de tapis couteux, accueillaient sur des gradins dames et gentilshommes richement vêtus. Au premier rang et au centre de la loge royale, côté Tournelle, assises côte à côte, Catherine et Diane de Poitiers à sa droite ; elles brillent de pierreries qui enrichissent des étoffes de prix, ornées de broderies.
Diane, toujours très belle même si elle a 60 ans se démarque : comme Catherine elle porte du brocart, mais en sus, Diane est parée de bijoux de la Couronne. Elle ne le sait pas encore, mais dans un temps qui lui est désormais compté, elle devra les rendre au trésor royal. La loge princière est installée à la hauteur de l'actuel numéro 62 ; de l'autre côté de la rue, en vis-à-vis, le dauphin François et son épouse Marie Stuart ont pris place sur une seconde loge d'honneur.
Il fait très chaud et Catherine est angoissée. Férue de sciences occultes, cette lectrice de palimpsestes mystérieux écrits par des magiciens s'est essayée à lire
l'avenir, ou qu'il lui soit révélé.
Superstitieuse, férue d'astrologie, elle aurait eu connaissance du quatrain suivant, tiré des prophéties de son astrologue Nostradamus, les fameuses Centuries, publiées en 1555.
Le lyon jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans caige d’or les yeux luy creuera,
Deux classes vne, puis mourir, mort cruelle.
Certains y liraient la mort annoncée du roi. Le décodage est le suivant. Le lion jeune est Gabriel de Montgomery ; le vieux est le roi. Le champ de bataille, la lice où les deux hommes
s'affronteront lors d'une joute équestre.
De plus l'astrologue Gabriel Simeoni aurait prédit à la reine que la vie du roi serait menacée vers sa quarantième année. Et le roi venait de fêter ses
40 ans. Catherine qui a rêvé dans la nuit qu'il arriverait malheur à son royal époux avait supplié le roi de ne pas combattre. la reine fait-elle le rapprochement avec l'âge du roi qui correspond
avec la durée du deuil des reines qui est de 40 jours !
A soulignera que bien des prophéties ont été écrites après les faits. En en ce qui concerne Henri II prophéties et prémonitions sont nombreuses. Ainsi des historiens relève que le maréchal de France, Blaise de Monluc raconte dans ses mémoires intitulées "Commentaires" avoir fait un rêve prémonitoire la veille du tournoi.
Alors qu'il dormait, le roi lui apparaissait la figure en sang "ainsy que l'on peint Jésus-Christ quand les Juifs luy mirent la couronne". Il avait beau
observer son prince, il ne décelait aucune blessure sur son visage. Et pour ajouter à son trouble, il entendit des voix disant que le roi était mort, et d'autres "pas encore". Puis dans ce
cauchemar il identifiait des "chirurgiens entrer et sortir dedans la chambre". Et que pour que personne ne doute de ses mémoires écrites en 1571, rapportés par le baron Alphonse de
Ruble, il ajoute "Plusieurs qui sont vivans sçavent que ce ne sont pas là des contes, car je le dis dès que je fus esveillé".(Commentaires de Blaise de Montluc; année 1559, rédigés en 1571 et rapportés par de Ruble, t. III, p.
325.)
Maintenant place aux faits.
Tout a bien commencé. Comme Tenant le roi doit combattre trois Assaillants, à savoir les ducs de Nemours, Guise et le comte de Lorges, Gabriel de Montgomery.
Le roi a désarçonné les deux premiers.
Le but de ce type de joute équestre n'est pas de désarçonner un adversaire, mais de briser le plus de lances contre lui. La plus grande longueur du morceau brisé désignait le vainqueur. Il semblerait que Montgoméry contrairement au règlement n'ait pas changé de lance (de là les soupçons d'assassinat prêté au comte qui se battra plus tard aux côtés des protestants).
Des clameurs de joie montées de l'assemblée flattent l'égo royal. Cela s'est passé comme dans un jeu de quilles et le roi s'est amusé de voir les deux tournoyeurs (NDLR celui qui participe à un tournoi) tomber dans la poussière.
Le troisième tournoyeur que le roi affronte est Gabriel de Montgomery, grand et roide jeune homme, capitaine de sa garde écossaise (corps d'élite composé de mercenaires écossais, chargé de la sécurité du roi). Mais là commencent les ennuis. Lancés l'un contre l'autre, les deux hommes brisent leur lance et restent en selle. Henri qui voulait sortir vainqueur de ce triple assaut, en tant que roi et amant est vexé et ne peut en rester là. Il faut que le jeune lion morde la poussière !
Soulagées de voir "leur homme" sain et sauf et croyant le tournoi terminé les deux dames remercient la Vierge et Saint Denis. Elles se préparent à voir leur prince de cœur s'approcher, émergeant d'un nuage de poussière ; ensuite elles s'autoriseront à prendre quelques nourritures et rafraichissements dans la vaisselle royale d'or et de vermeil, posée sur un meuble précieux. Tout est délicieux et il y a toujours dans l'air une odeur d'homme, de risque, de cuir, et de sueurs. Stimulation à la fois apéritive et sensuelle pour les deux femmes qui ont envie de se faire plaisir ad libitum! Et dans l'atmosphère, une intensité sexuelle rendant l'attente de l'assouvissement intolérable.
Mais soudain elles comprennent que quelque chose d'imprévu se passe. L'agitation de ceux qui sont dans la loge royale confirme cette appréhension. Le roi n'a pas quitté la lice et s'est lancé dans une discutions animée avec son écuyer, le maréchal François de Scepeaux, seigneur de Vieilleville, comte de Durtal. Ce dernier doit le remplacer, comme "Tenant" suivant. Un "Tenant" a droit à trois passes (un triple assaut), et un "Assaillant" à une seule course. C'est la règle que le maréchal de Vieilleville rappelle humblement au roi qui entend poursuivre le tournoi.
Comme les règles ne sont pas faites pour les rois, Henri réplique vertement :
"Je veux ma revanche, il m'a faict bransler sur ma selle et quasi quicter les estrieux".
Le maréchal de Vieilleville le supplie d'arrêter. Il a un argument solide qui devrait convaincre son souverain :
"Je jure le Dieu vivant, Sire, qu'il y a plus de trois nuits que je ne fais que songer qu'il vous doit arriver quelque malheur aujourd'hui et que ce dernier juin vous est fatal" (source
Mémoires du maréchal de Vieilleville).
C'est alors que M. de Boisy, Grand écuyer de France, dépêché par la reine s'approche d'Henri pour lui délivrer un message de la souveraine le conjurant de ne plus courir par amour d'elle.
Et le prince de renvoyer M.de Boisy dire à la reine que c'est justement par amour d'elle qu'il entendait "Courir celte lance ".
Le roi passa outre et fit appeler son adversaire pour lui dire d'entrer une nouvelle fois en lice. Ce dernier argumente, comme Vieilleville, que comme assaillant il a fait sa course et qu'il se
devait de laisser sa place aux autres candidats qui ne pourrait que lui en vouloir de manquer leur tour. Mais l'ordre d'un roi ne se discute pas, et le jeune Lorges "par très grand malheur,
obéit et prit une lance". François de Scepeaux aide le roi à remettre son casque. Probablement perturbé, il ferme mal le crochet de la visière royale. Catherine et Diane inquiètes s'agitent
et avec force de gestes protestent. Mais le roi n'entend rien, ne voit rien.
"Je jousteroy" dit le roi haut et fort, dominant la scène de son 1,84 m augmenté de la hauteur du cheval et il pense "je l'auray" ! (son père François 1er mesurait 1,98m ; les 3
derniers Valois sur le trône étaient de grandes tailles).
Gabriel de Montgomery s'exécute et les deux cavaliers s'éloignent pour se positionner aux deux extrémités de la lice. Catherine et Diane tendues, le regard fixe, ne quittent pas la scène des yeux.
Elles ne voient que leur champion, le cavalier le plus fascinant, pour lequel elles tremblent ! Le roi étincelle de virilité, éblouissant ses dames comme un soleil. Éclaboussé de lumière, il fait corps avec son armure. Cette dernière est composée entre autres d'une cote d'armes bleue fleurdelysée d'or ; le cimier est orné d'une réplique de la couronne royale ouverte des Valois. Le tout est surmonté d'un panache blanc et noir, les couleurs de Diane.
Bien en selle le souverain est fièrement juché sur son coursier blanc, tout caparaçonné, nommé "Malheureux". Un tissu précieux, bleu, parsemé de fleurs de lys brodées au fil d'or, recouvre cette protection. Le chanfrein également fleurdelysé protège la tête de la monture. Orné de pierreries et de damasquinures, il est surmonté d’un porte-plumail ajouré de fleurs de lys. Une barde de crinière et de poitrail complétait la protection du cheval.
Le roi et son adversaire sur leurs destriers richement harnachés sont distants environ d'une centaine de mètres. Placés de part et d'autre de la barrière séparative montant à la hauteur du garrot des chevaux (environ 1,50m) et qui est à leur gauche, ils attendent le signal du départ. Et quand les trompettes et clairons le donnent, les deux hommes éperonnant brusquement leur monture les lancent vers un destin prêt à basculer, ignorant que cet instant va entrer dans l'histoire événementielle. Tous les spectateurs retiennent leur souffle. Il semble qu'un grand silence se soit fait, troublé seulement par le bruit des sabots martelant le sable sec et sale qu'ils soulèvent dans leur course. Tous les autres sons, comme le hennissement des chevaux, le brouhaha des spectateurs semblent soudainement assourdis.
Leur lance tenue fermement dans la main droite, les deux jouteurs pointent le côté gauche de l'adversaire. Catherine et Diane, fascinés regardent les deux hommes se précipiter l'un vers l'autre. Il est 17h00.
La suite est connue. Au moment du choc, l'extrémité de la lance de Gabriel de Montgomery se brise contre le plastron royal, tandis que la partie restante glisse sous la visière du heaume du roi que l'écuyer a mal fixée, et le blesse au-dessus de son œil gauche. Plusieurs éclats de bois pénètrent jusqu'au cerveau.
Le roi gravement blessé est resté en selle, le haut de son corps repose sur l'encolure de Malheureux. Des écuyers se précipitent pour l'aider à démonter. Catherine et d'autres dames tombent évanouies, comme le dauphin et sa jeune épouse.
Diane, debout, est statufiée devant son amour fracassé, face au néant d'incertitudes qui vient de s'ouvrir, prêt probablement à l'engloutir, avant de la briser. Et dans cet instant suspendu au souffle d'un roi, elle sent pour la première fois l'hiver de sa vie. Elle a froid ; elle a le sentiment que son sang a reflué de ses membres, que son cœur emporté va s’arrêter de battre. Son désarroi est sans mesure.
Revenue à elle, Catherine craint déjà la suite : ce jour est funeste ! et dans ce moment éclaboussé de lumière, Catherine devine les forces obscures de la nuit, invisibles car tapies derrière un jour qui s'achèvera.
La reine de droit et la reine de cœur indifférentes au tumulte qui les entoure se projettent enfermées chacune dans leur bulle vers un avenir incertain.
Qui saura si les deux femmes gardent un espoir de voir le roi survivre ?
Pour Catherine, quel mage consulter face à ce futur plein de conjonctures ? Entrevoit-elle au-delà de sa profonde détresse, de passer de l'ombre à la lumière, la possibilité de se saisir du pouvoir? Probablement non ! Tout à son désarroi Catherine se hâte vers le palais. Si les prédictions sont vraies, elle sait qu'elle va perdre l'homme de sa vie, le géniteur de ses enfants qu'elle n'a jamais pu conquérir. Si Henri meurt, la chance de le posséder au moins une fois dans une étreinte passionnée est perdue à tout jamais.
Alors que les deux femmes quittent la loge royale, le roi est transporté immédiatement aux Tournelles.
Difficile d'imaginer la douleur d'Henri II. Des migraines insoutenables arrivant par vagues ; les affres d'un crâne, prêt à éclater comme écrasé par un étau ; l'impression du va et va vient d'une épée enfoncée par l’orbite droit, vrillant son encéphale ; une dague chauffée à blanc, fouraillant méthodiquement chaque parcelle de son cerveau. Et parfois des éclairs fulgurants, lumineux, et insoutenables, explosant dans un rouge violent sa cervelle qu'il sent expulsée par l'œil droit.
Henri vit-il des tourments moindres que ceux infligés par ses bourreaux aux suppliciés livrés dès 1548 à "la chambre ardente" qu'il a instituée pour les hérétiques qui finiront au bûcher ? a-t-il une pensée pour le conseiller au parlement embastillé, Anne du Bourg, qui au nom de la tolérance a refusé l'enregistrement d'un édit royal de janvier 1558 installant l'inquisition (pour avoir prêché la modération en matière religieuse, le magistrat est condamné à mourir) ? Qui répondra !?
Ses tourments sont-ils comparables à ceux que son infidélité a fait endurer au cœur douloureux d'une épouse transie d'amour pour lui ? comprend-il enfin que tous les suppliciés dans leurs chairs ou dans leur cœur n'ont d'échappatoire que dans la mort ?
Porté sur un brancard le roi est conduit à son hôtel des Tournelles. Royal et rigide, Henri tient à monter les escaliers de sa résidence ; pour dissimuler l'état physique désespéré dans lequel il se trouve, le roi doit accepter d'être soutenu par des écuyers, jusqu'à sa chambre.
Le blessé entouré de sa famille est livré aux représentants de Dieu, aux mains et aux instruments de ses chirurgiens qui s'efforcent de le sauver.
Ambroise Paré, un des chirurgiens ordinaires du roi a laissé le témoignage suivant (sans qu'on soit totalement certain qu'il ait été présent dans la chambre royale).
Le roy receur un très grand coup de lance au corps, qui fust cause luy eslever la visière, et un esclat du contrecoup luy donna au-dessus du sourcil dextre et lui dilacéra le cuir musculeux du front près l'os, transversalement jusques au petit coin de l'oeil senestre, et avec ce plusieurs petits fragmens ou esquilles de l'esclat demeurèrent en la substance dudit œil sans faire aucune fracture aux os. Donc, à cause de telle commotion ou esbranlement du cerveau, il décéda l'onzième jour qu'il fut frappé
Pour sauver le moribond, tout est tenté. Pragmatiques, les chirurgiens font extraire des prisons du châtelet où ils croupissaient, quatre condamnés à mort. Leur tête coupée sert à reproduire une blessure identique à celle du roi et d'en tirer des leçons : preuve de professionnalisme !
Henri II qui a conservé sa conscience la plupart du temps, meurt "officiellement" le 10 juillet 1559, d'une méningo-encéphalite traumatique (source "Les morts mystérieuses de l'histoire". Docteur Cabanès). Il semblerait que Catherine ait retardé l'annonce du décès, pour se donner entre autres le temps nécessaire pour préparer la succession du nouveau roi, François II.
Ne peut-on imaginer que la dernière image que le roi plongé dans les limbes a emportée dans l'éternité est celle de Diane, en cette année 1525 ?
La cour, dont faisait parti Diane, les avait accompagnés son frère François, âgé de 8 ans et lui d'un an plus jeune à la frontière franco-espagnole.
Comme otages, les deux princes vont franchir la frontière pour remplacer comme otage leur père François 1er, prisonnier de Charles-Quint à Madrid. Henri est perdu dans une situation qui le dépasse. Et Diane qui mesure la détresse de l'enfant, de manière spontanée, l’embrasse sur le front.
Quand il reviendra en France au bout de quatre longues années de détention, le jeune prince retrouvera celle qu'il n'avait jamais oubliée.
Qui sait si ce n'est pas cette scène de lumière, un jour d'enfance sombre, ancrée dans son cœur, cette seconde de bonheur figée comme dans un tableau ressemblant pendant 34 ans, qu'il a emporté alors que des brumes éteignaient les dernières petites étincelles d'une vie qui le quittait ?
Diane, interdite de paraitre à la cour s'est enfermée dans sa demeure, où elle apprend la mort du roi.
Quelques jours plus tard, dans l'ombre de sa vie, dissimulée derrière l'embrasure d'une fenêtre de son Hôtel Barbette situé près de la résidence royale, elle a regardé passer dans un grand déploiement de solennité la dépouille royale conduite vers la nécropole royale de Saint-Denis. Pour immortaliser dans sa mémoire chaque instant, elle a observé avec attention les détails du passage du cortège funéraire. C'est un cortège lent, dont le rythme ralenti était fait pour que chacun ait le temps de penser au déroulé rapide de vie dont la course s’arrêterait brutalement un jour. Diane a aussi remarqué les regards curieux à peine discrets se lever vers ses fenêtres. Hier, tous tremblaient devant elle ; aujourd'hui brisée, elle n'est plus rien.
Henri passe le seuil qui sépare la vie de la mort ; Henri est passé, Henri trépassé rejoint les mânes de ses aïeux. Une existence entière enfermée entre quatre planches de chêne, boite qui finira par ne contenir qu'une carcasse. Est-ce cela la vie ? question assurément saillante !
Si aucun de nous n'était aux côtés de Diane, on suppose que certains souvenirs se sont imposés à elle. Peut-être celui-ci. Celui de ce sanglier redoutable, que la meute de la chasse à courre pleine d'endurance avait fini d'épuiser. ? Elle l'avait oublié, mais lors de la dernière vènerie, son regard de chasseresse s'était attardé sur cette bête épuisée, réduite à l'impuissance. Elle n'avait eu aucune pitié pour ce cochon, et maintenant, anéantie de chagrin, elle se le reprochait.
Que faut-il savoir avant d'aborder les articles qui suivent, consacrés aux guerres de religion et à une des figures centrales de cette période, Catherine de Médicis ?
Catherine constate très rapidement que la politique religieuse coercitive d'Henri II, calquée sur celle de son père, est un échec, et qu'une autre voie est possible. Elle avance une position novatrice. Pour elle, la stabilité politique passe par une neutralité religieuse de l’État, et le droit pour les sujets du roi de pratiquer la religion qu'ils ont adoptée.
Elle ne comprend pas les passions qui agitent le royaume : elle se méfie des idéologies religieuses qui établissent des dogmatismes dangereux, sans fondement, aveuglant les plus faibles. Elle ne croit pas que les préceptes religieux contraires soient la vraie source des différends qui désunissent ses sujets. Pour elle, ce n'est pas tant l'appartenance à telle ou telle confession, qui déchaîne les passions, que l’appétit du pouvoir des princes, l’aveuglement des hommes. Entraînés dans une spirale sanglante générant des haines, ses sujets finissent par avoir des comportements barbares. Endoctrinés, ils suivent des politiques manipulateurs, et des prêcheurs décérébrés, incapables d'exégèse biblique, les exhortant au meurtre au nom d'un dieu d'amour.
Catherine n'a aucun problème avec telle ou telle vérité religieuse : en tant que politique, elle n'appartient à aucune église ou chapelle.
Femme de pouvoir, elle a compris que l’Église pour assurer sa domination a édifié un discours ecclésial autour du message christique. Superstitieuse comme ceux de son temps, Catherine croit plus aux sortilèges de ses magiciens qui intercèdent en sa faveur auprès de puissances obscures, aux avertissements divins déchiffrés par ses astrologues, qu'aux idées préconçues de tel ou tel dogme des Églises. Sa foi en dieu se passe des dogmatismes qui embrasent son royaume et sont prétexte aux tueries. C'est une femme qui hait la violence et lui préfère les poissons !
Cependant ses efforts de pacification sont vains face aux passions confessionnelles attisées par les ambitions politiques insatiables des grandes familles nobles. La faiblesse du pouvoir royal l'obligera à des acrobaties et des grands écarts de politiques intérieures et diplomatiques qui rendront sa parole, et celle de ses fils, peu crédibles.
Que retiendra l'histoire de Catherine ? Principalement, un modèle de fourberies, de cruautés, de superstitions.
On l'a compris, elle sera pour les romanciers un excellent personnage de fiction. Habillée de noir, elle est ce personnage haut en couleur, à la figure à la fois détestable et inquiétante.
L'historien G.Lenotre, citant Sainte-Fix (essais sur Paris, IV) nous assure qu'elle "portait sur l'estomac "une feuille de parchemin fait, dit-on, de la peau d'un enfant égorgé ; ce vélin magique, semé de figures, de lettres et caractères de différentes couleurs" devait la préserver de toute entreprise contre sa personne" auprès de ses contemporains.
Cet article est un abrégé chronologique des articles suivants.
À la mort de son époux, Catherine n'est plus que l'ombre d'une ombre, l'ombre d'elle-même. Pour la postérité, elle se présente comme la reine-morte au cœur meurtri, recluse dans sa peine, revenant au-devant de la scène pour ses enfants et la dynastie.
Probablement que dans sa profonde dépression, la veuve d'Henri II a médité la première épitre de Saint-Paul aux Corinthiens (chapitre 13, versets 1 à 8a) :
J'aurais beau parler toutes les langues de la terre et du ciel,
Si je n'ai pas la charité, s'il me manque l'amour,
je ne suis qu'un cuivre qui résonne,
une cymbale retentissante .
J'aurais beau être prophète,
avoir toute la science des mystères,
et toute la connaissance de Dieu,
et toute la foi jusqu'à transporter les montagnes,
s'il me manque l'amour,
je ne suis rien.
J'aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés,
j'aurais beau me faire brûler vif,
s'il me manque l'amour,
cela ne me sert à rien.
« La France est toute pleine de contradictions et de disproportions, lesquelles cependant forment une discorde concordante, qui la perpétue. Des coutumes bizarres, des fureurs terribles, des mutations continuelles, des extrêmes sans demi-mesure, des tumultes, des querelles, des désaccords et des confusions : tout cela, en somme, devrait la détruire et, par miracle, la tient debout ».
Giambattista Marino ou Cavalier MARIN
"Si nous nous en allons d’ici, Marie ? Mais, moi, je ne veux point quitter ce joli château d’où nous voyons la Loire et le Blésois, une ville à nos pieds et le plus joli ciel du monde au-dessus de nos têtes et ces délicieux jardins. Si je m’en vais, ce sera pour aller en Italie avec toi, voir les peintures de Raphaël et Saint-Pierre". Dialogue entre François II et Mary Stuart. Extrait de "Sur Catherine de Médicis de Honoré de Balzac.
Quand François II, le premier des cinq derniers Valois, monte sur le trône, la monarchie absolue ébauchée par François 1er et Henri II vacille.
François II a quinze ans, il est caractériel, inexpérimenté, maladif. Sous son bref règne, le royaume dans une atmosphère de délitement de l'institution monarchique est à la veille de basculer dans des guerres de religion. Henri II, calquant la politique religieuse coercitive de François 1er a maintenu la paix civile ; ses successeurs n'y parviendront pas.
Quand le jeune roi accède au trône, la majorité des Français et de la noblesse sont catholiques ; cependant une minorité représentative en nombre croissant a embrassé la foi protestante.
Profitant de cette transition politique qui à tous les accents d'un interrègne, elle revendique des droits qui lui sont contestés violemment depuis François 1er. Comme porte-parole, le parti huguenot (en 1559) elle a le prince Louis de Condé et son frère Antoine de Bourbon, roi de Navarre. Tous deux sont princes français, descendants du roi Saint Louis.
De 1560 à 1598, les deux factions vont s'entretuer, catholiques contre protestants (huguenots). Leur division confessionnelle déchireront le royaume
sous le règne respectivement des trois frères, François II (roi à 15 ans de juillet 1559 à décembre 1560), de Charles IX (roi à l'âge de 10 ans de 1560 à 1574) et de Henri III (né en 1551, le
dernier Valois à régner de 1574 à 1589).
Pour Catherine, la théocratie religieuse est à différencier du pouvoir temporel des rois; en cela
elle poursuit une politique de laïcité.
Catherine persévère dans une politique libérale de 1561 à 1567. À compter de cette date, et à la suite d'un évènement connu comme "la surprise de Meaux", Catherine met fin à sa politique conciliatrice et durcit ses positions à l'encontre du parti huguenot.
Dès, lors, négociatrice impartiale elle penche pour une politique globalement plus favorable envers les leaders catholiques.
Dans ce contexte de troubles où le royaume est poussé vers l'abîme, celle qu'on appelle la reine-mère, sera conduite, principalement auprès de ses deux premiers fils, à jouer un rôle primordial.
Si aujourd'hui certains historiens réhabilitent une femme à la réputation historique désastreuse, ils ne peuvent la dédouaner du massacre de la Saint Barthélémy le 22 août 1572, qui lui est en grande partie imputable.
Catherine et Henri II ont eu un quatrième et dernier fils.
L'histoire a posé sur son existence un voile d'oubli. Pourtant le rôle de trublion familial de François-Hercule d'Alençon n'a rien d'anecdotique.
Il est décrit comme laid, méchant, jaloux. François d'Alençon, à la conquête du pouvoir, cherchera durant sa courte vie, un trône.
À défaut de trône, il se serait bien contenté d'un strapontin pour prince consort d'Angleterre en épousant Élisabeth 1ère, mais le projet sera sans suite. Ses espoirs seront déçus aussi alors qu'il se voyait déjà en tant que "Défenseur des libertés des Pays-Bas" roi des provinces du nord de ce pays. Alors, son dernier espoir est de coiffer la couronne de France, à la place d’Henri III. Cantonné dans son rôle d'éternel comploteur, il meurt avant son aîné qu'il a tant détesté. Vivant, il n'avait eu de cesse de troubler l'ordre public. Mort sans enfant, la disparition de ce prince ouvrira une grave crise de succession. Qui aurait pensé que certains morts ne pourrissent pas la vie des vivants !?
Soyons justes avec le frère puîné d'Henri III. Il est possible comme ce dernier qu'il ait été victime de cabales visant à salir son image. On se doit de souligner que lors de la Saint-Barthélemy, il ne participe pas au massacre des protestants. Son attitude ostensible lors de ce drame est sans équivoque. Il pense le royaume de France, comme un État accordant aux huguenots le droit de pratiquer leur religion. François est proche de l'autre paria familial avec qui il aime s'afficher : sa sœur, Margot.
Mais reprenons le cours de l'histoire.
Le 10 juillet 1559, le dauphin, sous le titre de François II, succède à son père. Catherine se tient éloignée des affaires du royaume.
Elle conseille au jeune caractériel, inexpérimenté, souffreteux François II, de s'appuyer sur la famille de Guise. François de Lorraine, duc de Guise, dit "le Balafré", prend le contrôle du gouvernement. C'est un farouche défenseur d'un catholicisme intransigeant qui va favoriser le clivage entre catholiques et protestants. L'homme est l'oncle de Marie Stuart, épouse du roi.
En fin d'année 1559, une conjuration protestante tente de soustraire le roi de l'influence du duc de Guise et de mettre "sous tutelle" François II. Aussi, le chef des conjurés, Jean du Barry, seigneur de La Renaudie envisage d'arrêter le duc de Guise à Blois, où la cour séjourne. Éventé, le complot échoue, et la famille royale et sa suite se mettent à l'abri des murailles et du château fortifié d'Amboise. Nullement découragé par les fortifications de la ville l'instigateur décide de passer à l'action. Le 17 mars 1560, Jean du Barry et ses troupes tentent une invasion de la ville, pour s'emparer du duc de Guise. Ce dernier bien préparé réussit à repousser les factieux.
La grande majorité des conjurés sont faits prisonniers et tous sont exécutés ; cependant ceux qui présumés à l'initiative du coup force, comme le prince de Condé et Antoine de Bourbon, en raison de leur qualité de princes, du manque de preuve, échappent à la justice du roi et restent libres.
Le 5 décembre 1560, à Orléans, "le roy François II, ayant regné dix-sept mois dix-sept jours dix-sept heures, et étant âgé de dix-sept ans" gagne l'au-delà des rois.
À l'avènement de Charles IX, Catherine en tant que régente, s'implique personnellement dans le pouvoir. Le premier à 10 ans et la seconde 40 ans.
Catherine écarte la famille de Guise, pourfendeuse d'hérésie, et à ses yeux, responsable des divisions religieuses de plus en plus marquées.
La marâtre n'oublie pas de renvoyer la jeune Mary Stuart, veuve du "deffunt Roy", dans son brumeux royaume d’Écosse. Catherine s'essaie dans une politique de balancier entre les grandes familles nobles. Elle s'appuie sur l'humaniste Michel de l'Hospital, pour qui dans le royaume, "la paix est plus importante que le dogme" ainsi que sur les personnalités modérées des deux partis.
Dès 1561, avec l'aide du chancelier Michel de l'Hospital, décrit par Jules Michelet comme la "noble image de la froide sagesse, impuissante entre les passions" Catherine impulse et assume courageusement une politique de tolérance religieuse. Jean Orieux (Catherine de Médicis. Édition Flammarion) relève deux phrases écrites le 15 janvier 1562, par cette dernière. Elles illustrent non seulement son esprit de tolérance, mais aussi son désir de placer l'État au-dessus des idéologies religieuses.
"Il ne s'agit pas de décider quelle est la meilleure religion, mais d'organiser l'État".
"On pourra être citoyen sans être chrétien et même en étant excommunié".
Le 9 octobre 1561, Charles IX ayant 11 ans, Catherine contre la volonté du pape et des catholiques, convoque "le colloque de Poissy". Michel de l'Hospital, que la reine mère a mandaté pour cette tentative de réconciliation, explique à la noble assemblée que le roi veut " (...] rétablir l’ordre et l’unité par la douceur".
En réunissant les élites catholique et protestante (se côtoient des théologiens, des prélats et des ministres du culte) dans l'abbaye de Poissy, la reine mère espère ouvrir un espace de dialogue entre les parties concernées, pour parvenir à des avancées qui mettraient fin aux conflits les opposant.
Le colloque échoue principalement sur la question de la présence, réelle ou pas, du Christ dans l’eucharistie (question de la "transsubstantiation"). Pour les protestants, l'inanité de la transsubstantiation relevait d'une théorie construite au départ sur un symbole, devenu une superstition élevée au rang de dogme par les catholiques. Pour ces derniers ramener la cène au niveau du symbole relevait de l'hérésie, nier le miracle de la présence du Christ dans le pain et le vin était inacceptable.
Ite missa est !
Catherine et Michel de l’Hospital décident de dépasser cet échec et d'avancer.
Le 17 janvier 1562 Catherine signe à Saint-Germain-en-Laye, l'édit de janvier, reconnaissant aux protestants le droit de s'assembler dans des maisons privées à l’intérieur des villes et de pratiquer leur culte en dehors des remparts de ces villes.
Le 14 février suivant, elle force le Parlement de Paris à enregistrer le texte.
Dans sa volonté de réconciliation, elle n'hésite pas à écrire au successeur de son oncle Clément VII
" Je vous proposerai, Très-Saint-Père, de supprimer le culte des images, de ne plus conférer le baptesme que par l'eau et la parole ; la communion sera donnée sous les deux espèces ; on chantera les psaumes en langue vulgaire à ceux qui s'approcheront de la sainte table ; enfin, on abolira la feste et les processions du Saint-Sacrement, parce que cette solennité est de tous les jours et de tous les temps".
En mars 1562, le massacre par le duc de Guise d'une centaine de protestants assistant au culte dans une grange de la ville de Wassy, ruine les efforts de Catherine. Ivres de vengeance, les protestants entrent en rébellion et s'emparent de grandes villes comme Lyon, Orléans, Poitiers, Rouen. Le duc de Guise conduit sous la force de Fontainebleau à Paris le roi et sa mère à Paris, prétextant que dans la capitale il assurera leur protection face aux rebelles.
Suite à la mort du duc de Guise tombé dans un piège tendu par Jean de Poltrot de Meré, alors qu'il tentait de reprendre Orléans, Catherine reprend l'initiative. En mars 1563 l'édit d'Amboise autorise le culte protestant dans des lieux privés, comme la chapelle des châteaux.
En 1567, devant l'influence de Charles de Lorraine, cardinal de Guise (frère du balafré) sur le jeune roi Charles IX, le prince Louis de Condé, inquiet "des influences étrangères néfastes" essaie d'enlever le roi qui réside à Meaux : l'évènement est connu sous "La Surprise de Meaux". Le complot échoue, mais il aura des conséquences terribles pour la suite.
Catherine choquée, déstabilisée, se met à l'abri des murailles de Paris avec son fils.
Elle constate que les efforts déployés pour assurer les protestants de sa bienveillance ont été vains. Aussi met-elle fin à sa politique de tolérance. Dans son "Histoire de la tolérance au siècle de la Réforme" , Joseph Lecler exhume deux lettres écrites par Catherine de Médicis à M. de Gordes, lieutenant-général du Dauphiné. La première, envoyée avant la surprise de Meaux prouve que Catherine entend que les sujets du roi vivent en paix et que la tolérance religieuse est au cœur de ses préoccupations. Au même, après Meaux elle écrit au sujet de ceux qui aideraient les huguenots de les tuer "car tant plus de morts, moins d'ennemis".
Michel de l'Hospital est renvoyé.
La lutte armée entre les belligérants reprend. Mais épuisés, ces derniers signent le 23 mars 1568, la paix de Longjumeau, qui dans les grandes lignes est une copie de l'édit d'Amboise.
Quatre mois plus tard, sur les conseils de sa mère, Charles IX ordonne l'arrestation du prince de Condé. Le 29 juillet 1568, le prince de Condé et son allié, l’amiral de Coligny déjouent le guet-apens et s'enferment à La Rochelle où les protestants rassemblent leurs forces. Les huguenots essuient deux défaites les 13 mars 1569 (mort de Condé) et le 3 octobre suivant, respectivement à Jarnac et à Moncontour.
En juin 1570, la bataille d'Arnay-le-Duc, remportée de manière inattendue par les protestants, conduit le 8 août 1570 le roi à signer un édit de tolérance à Saint-Germain. Les protestants regagnent la liberté de culte telle que définie en août 1570, plus l'octroi de quatre villes pour deux ans : Cognac, La Charité-sur-Loire, Montauban, La Rochelle. Elles deviennent des cités "de sûreté" où en cas de danger les protestants pourront s'enfermer pour se défendre.
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