Illico presto ! Avant que le corps de son époux ne soit porté à Saint Denis, Marie de Médicis s'empresse de rapatrier
la dépouille d'Henri III de l'abbaye Saint-Corneille à Compiègne, vers la nécropole dyonissienne (dyonissien=habitant de Saint-Denis). La bière est déposée dans la
rotonde des Valois.
Ainsi sera respectée la coutume séculaire qui veut que le roi mort le premier, accueille le cercueil de son successeur, lorsque le temps terrestre de ce dernier sera achevé. La transition dynastique entre Valois et Bourbon ayant été mouvementée, la reine devenue régente attachait une importance toute particulière à une symbolique soulignant le lignage existant entre Henri III et Henri IV.
A partir de 1610, la mémoire du défunt dont le corps est descendu dans la crypte des Bourbons, est rappelé dans le chœur de
l’abbaye, au moyen d'une construction funéraire particulière. Jean-Marie Le Gall (professeur d’histoire moderne à l’université Paris Panthéon-Sorbonne), dans son étude (Publié dans Revue
historique2006/1-n° 637) consacrée à " La nécropole dynastique des Bourbons à Saint-Denis
ou l'impossible simple corps du roi" relève que Saint-Simon la décrit comme :
"une estrade élevée de trois marches avec un poêle de drap noir avec une croix blanche dessus et les armes de France et de
Navarre jointes et accolées ensemble sous une même couronne de France et entourées des colliers et ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit... Il y avait à la tête du cercueil trois carreaux de
velours noir où étaient la grande et moyenne couronne, le sceptre et la main de justice... au-dessus environ six pieds de haut était un dais de velours noir".
Dans le même travail, l'historien rappelle, je cite, que "lorsqu’un roi meurt, la représentation de son prédécesseur est démontée, tandis que son cercueil quitte le caveau de cérémonie pour rejoindre la crypte familiale afin d’accueillir le cercueil du nouveau défunt. Lorsque celui-ci rejoint le caveau, on installe de nouveau dans le chœur un cercueil vide surmonté d’un poêle, d’un dais et d’insignes de la royauté".
Louis XIV renforcera plus tard l'allégorie en 1683, lorsqu’il réorganise le caveau des Bourbons. En transformant en caveau de cérémonie la chapelle romane dite "Hilduin", située dans le sous-sol, à l'extrémité Est, il dicte l'observance d'un nouveau protocole, dont l'usage appelle la tradition.
Au bas des marches de l'escalier qui du chœur descendait vers la crypte, le roi soleil ordonne que soit aménagée (précédant le sombre boyau conduisant au caveau proprement dit) une niche gagnée dans l'épaisseur du mur de droite .
Dans cet espace exigu, un banc de pierre d'une hauteur de 2 pieds environ était destiné à recevoir une dépouille royale. Sur
cette banquette, le défunt attendait la bière de son successeur, dans une continuité institutionnelle monarchique suggérée. Lorsque le cercueil d'un roi arrivait, la dépouille du premier
rejoignait, en empruntant un couloir resserré, le sépulcrale panthéon des Grandeurs passées. Et pendant ce temps, à son tour le nouvel arrivé prenait place sur ce berceau de pierre massif. Et
dans ce séjour étriqué, ce bas fond de solitude sans décorum, à son tour le prince qui avait fait l'Histoire, se tenait prêt pour un cérémonial écrit pour donner un sens à la mort des
rois.
Concernant Henri III, les autres formes antiques du cérémonial n'ayant pas été respectées (à cause des guerres de religion) et
le temps pressant, le dernier Valois est inhumé discrètement, rapido presto, le 23 juin, dans la rotonde des Valois, jouxtant et faisant partie du panthéon des rois. Il avait été
envisagé qu'Henri III ait aussi son effigie, mais cette éventualité est écartée. Les ducs d'Epernon et de Bellegarde ayant été parmi les fidèles du monarque, ils ont pour mission d'accompagner sa
dépouille.
Pierre de l'Estoile déplore dans ses mémoires qu’aucune solennité, ni pompe n'étaient prévues pour ce "grand prince,
vraiment bon, s'il eut rencontré un bon siècle". Il est atterré également par les moines de Saint-Denis qui trouvent des prétextes pour ne pas porter le cercueil, qui sera déplacé
pas des valets de pied.....qui laissent choir la bière !
(http://europamoderna.com/index.php/articles-publies/49-nd22011/77-michel-cassan-lassassinat-dhenri-iv-un-essai-dhistoire-immediate#_ftn9)
(http://www.lepoint.fr/c-est-arrive-aujourd-hui/18-mai-1610-trois-jours-apres-sa-mort-les-entrailles-d-henri-iv-sont-transportees-a-saint-denis-17-05-2013-1669389_494.php)
Le soir même vers minuit, après avoir été autopsié, lavé et embaumé après éviscération (l'hémorragie qui a vidé le corps de son sang pourrait expliquer la réussite de l'embaumement, constatée lors de la violation de son tombeau en 1793) et excérébration, le corps d'Henri IV revêtu d'un pourpoint de satin blanc est "porté sur le lit de sa chambre ou il fut vu considéré, pleuré et regretté par toute la ville de Paris."
Première entorse au rituel. Comme on l'a lu, le roi vivant demeure "caché", tant que le précédent ne soit descendu dans le caveau de Saint-Denis, et son avènement proclamé à cet instant.
Rien de cela ne se passe lors de la mort d'Henri. Le soir même, le parlement de Paris qui siégeait au couvent des Augustins, après avoir entendu les arguments du duc d'Epernon, confiait la régence à Maris de Médicis.
Le 15 mai 1610, soit le lendemain de la mort d'Henri IV, le jeune Louis XIII âgé de neuf ans, tient un lit de justice, valant plus que l'aval de l'avant veille du parlement de Paris, premier Parlement de France.
Au cours de cette séance, le jeune roi informait les "Grands" et les magistrats du royaume que sa mère assurerait la régence.
La veuve du roi et ses ministres pensaient anticiper sur des troubles éventuels pouvant menacer la paix civile, en inscrivant la proclamation de la régence dans la continuité du règne d'Henri IV, devant la noble assemblée. Seconde entorse au rituel. Alors que le roi vivant ne peut se trouver dans le même lieu que son prédécesseur, le jeune Louis XIII a été conduit devant la dépouille de son père.
Le 22 mai, l’Édit de Nantes était confirmé.
Le 23 mai, le corps du roi embaumé est exposé au public et le 25 suivant, Louis XIII vient "donner de l'eau bénite au feu Roy son père".
Le 4 juin le cœur d'Henri IV confié aux jésuites est déposé au collège de La Flèche, dont il était le fondateur.
Hamlet : Combien de temps met un homme à pourrir dans la terre ?
Le fossoyeur : Parbleu, s'il n'est pas trop pourri de son vivant — comme on a plein de cadavres, par les temps d'aujourd'hui, si vérolés qu'ils tiennent à peine le temps qu'on les allonge —, ça peut vous mettre huit à neuf ans. Le tanneur peut vous durer neuf ans.
Hamlet .William Shakespeare
Le 10 juin, Henri IV est couché dans un cercueil de plomb ("mis en plomb"), ce dernier enfermé dans un second fait de bois (le roi est mis en plomb puis en bois ). Les préparatifs achevés, la bière est portée dans la salle des cariatides, "tendue des plus riches tapisseries de la couronne", où un lit de parade l'attend sur une estrade. Sur ce double cercueil dissimulé par un "un velours noir, croisé de blanc" une effigie du roi est allongée.
Le réalisme de l'effigie respectant la morphologie du défunt aide à oublier qu'elle n'est qu'un mannequin, habillé des habits du sacre. Selon la coutume, les repas sont servis deux fois par jour à l'effigie. Ensuite, les mets sont distribués aux pauvres. Jusqu'au 21 juin, le peuple pourra approcher la dépouille royale.
Le 25 juin, nouvelle aspersion d'eau bénite du corps par celui qui est devenu, à 9 ans, Louis XIII.
Le 28 juin, 24 crieurs "allérent par les carrefours de Paris avec leurs clochettes sonnantes annoncer les funérailles et convoi dudict Sieur Roy (ndlr Henri IV et non pas Henri III si vous avez bien suivi le film) [...] trépassé en son palais du Louvre".
Le 29 juin, "jour de la Saint-Pierre", la translation commence et le lent et grandiose convoi mortuaire qui doit conduire le corps du roi du Louvre jusqu'à Notre-Dame, et de là à Saint-Denis quitte le Louvre. Mais, pour une question de préséance, la place à occuper près de l'effigie, une dispute tournant au pujulat éclate entre le comte de Soissons et l'évêque de Paris, alors que le corps quitte le Louvre.
Hors de lui, l’évêque de Paris s'empare de l'effigie.
Dans un grand déploiement de solennité et de magnificence, au milieu des manifestations d’afflictions du peuple, la dépouille royale qui a quitté le Louvre à 14h00, ne parviendra à Notre-Dame qu'à 22h00, à la lueur tremblante des flambeaux !
Le cortège douloureux a traversé une ville fantasmagorique drapée de noir et peuplée d'ombres désemparées. Tandis que le ciel déployait une tenture mortuaire, la Mort a éteint les étoiles et tendu un ciel parsemé de larmes d'argent glacées. Tremblotantes de froid, elles donnaient le sentiment d'être habitées d'une vie moribonde qui palpitait faiblement. Et dans ce décor endeuillé, une lune cadavérique découpée sur fond triste regardait passer l’âme tourmentée du défunt.
La théâtralisation de cette lugubre pompe est en accord avec les sentiments d'un royaume
brutalement endeuillé par le destin brisé du roi. Le désarroi des parisiens et leur peur de l'avenir ajoutent au drame de la cérémonie. Et puis le peuple est persuadé que Ravaillac n'a été
qu'un instrument aux mains de commanditaires restés dans l'ombre d'une enquêté bâclée intentionnellement par la cour. La théorie d'une vaste conspiration et l'interrègne qui s'annonce plein
d'imprévus, font craindre à la fin d'une stabilité politique et économique dont Henri avait été le restaurateur et le garant. Sa mort facilite une prise de conscience relative aux bienfaits du
règne d'un roi décrié par son peuple.
Le lendemain, l'évêque d'Aires, Messire Cospeau, va y prononcer une vibrante oraison funèbre à la hauteur de l’évènement. En voici un court extrait.
"Princes très illustres, Eglise désolée, France abbatüe et mourante de dueil qu'attendez vous de moi ? je viens hélas ! non pour loüer la vie de ce Monarque incomparable, mais pour pleurer la mort : non pour célébrer ses conquestes, mais pour plaindre notre perte ; non pour chanter ses triomphes mais pour dire en gémissant ces tristes paroles, Cecidit Corona Capitis nostris, vae nobis quia peccavimus. La couronne de notre tête est tombée, mal'heur à nous parce que nous avons péché."
Vers 15h, la procession funèbre s'allonge éplorée, vers Saint-Denis. Elle y arrive à 22h. Nouvelle
cérémonie. Dernière étape.
Et tout cela en cadence : la tradition veut que le roi ait été enseveli aux accents de la musique d’Eustache Du Caurroy, la Missa pro defunctis ; aucune certitude. Cette musique sacrée sera utilisée de manière certaine pour des funérailles, sous Louis XIV, pour l'enterrement de la reine Marie-Thérèse.
Le 1er juillet, après un dernier office mortuaire, vers 14h, ceux qui portent le roi, se dirigent vers la crypte aménagée sous le chœur.
On imagine, que progressant vers le monde de la question irrévélée, ils ont hésité quelques instants sur le seuil qui conduit à "l'ailleurs" des incertitudes.
La mort d'un roi a t-elle ramené ces nomades de la vie, à leur propre fragilité, à la futilité des fonctions, des rangs, des amours éphémères et des vies passées et à passer ?
Vanitas vanitatum, omnia vanitas ; sic transit gloria mundi
Vanité des vanités, tout est vanité ; ainsi passe la gloire de ce monde
Ils savent que si le roi se préparait à envahir le duché de Juliers, il profiterait pour pousser jusqu'à Bruxelles où sa dernière tocade amoureuse, la très jeune Charlotte de Montmorency, est cachée par Henri II prince de Condé, le propre cousin du roi, un homosexuel notoire, qui n'entend pas lui céder son épouse ! Il se souviennent de cette parole "Et j'ai trouvé plus amère que la mort la femme dont le cœur est un piège et un filet, et dont les mains sont des liens ; celui qui est agréable à Dieu lui échappe, mais le pécheur est pris par elle". Ecclésiaste 7:26-29.
Pause ou hésitations sur le seuil du deuil qui conduit à l'illusoire immortalité?! Dans tous les cas, il y a dans l'instant une tension invisible mais
palpable.
Transpirant, les porteurs se sont probablement arrêtés avant d'aborder l'escalier nu, pour mieux caler le cercueil sur leur fortes épaules, gênés par le drap
mortuaire exhumé uniquement pour recouvrir le corps des rois morts. Les pierres qui fermaient l'entrée du caveau ont été descellées la veille et les porteurs sont saisis par une exhalaison
d'aromates et de putréfaction, qui de la catacombe monte vers eux.
Enfin, du palier près du chœur où ils se tiennent, toujours incommodé par l’âcreté des remugles dégagés par le boyau souterrain, comme d'instinct ils s'engagent vers les degrés s'enfonçant vers des tréfonds. Ils vont vers un Ailleurs où reposent le souvenir funeste des gloires néantisées, construites sur le malheur des peuples ; ces derniers ici n'ont pas droit de visite.
D'abord un premier pas indécis, un pas en avant, un pas de plus, deux pas, trois et plus, plus de pas, petit pas à petit pas, pas à pas pour descendre par pas mesurés, d'une cadence mal assurée, les marches conduisant au dortoir funèbre des rois. Mal accordés dans leurs mouvements, tout en descendant, les porteurs projettent des ombres mouvantes, glissantes, qui se transforment difformes, informes, multiformes, froissées par des ténèbres blafardes. Derrière le cercueil, suit le roi d'armes. Et c'est à la lueur arrachée des torches qui se délitaient, que le cercueil est descendu puis placé sur des tréteaux dans un caveau précédemment occupé par le cercueil d’Anne de Bretagne.
Un ultime et dernier rituel allait commencer dans cet espace cérémoniel exiguë, qui dégageait une atmosphère palpable de sacralité. L'environnement était tout imprégné des règnes passés qui avaient façonné l'histoire du royaume.
Une fois descendu dans le souterrain, le roi d'armes s'est placé à côté du cercueil. D'une voix de stentor il appelle chacun à leur tour les autres hérauts pour qu'ils le rejoignent et viennent y faire leur dernière charge.
Le premier à le rejoindre portaient les éperons ; le second, les gantelets ; le troisième l'écu ; le quatrième l'armet timbré ; le cinquième et dernier, la cotte d'armes.
Puis vont se succéder au fur et à mesure de la cérémonie les premiers gentilshommes civils ou militaires de la maison du roi. Ce dernier les a distingués en leur confiant des offices spécifiques. Les trois premiers apportent respectivement la bannière royale, la bannière de France, et l'épée. Puis arrive le grand maître d'hôtel du roi, devant lequel tous les maîtres d'hôtel passent en jetant dans le caveau les symboles de leur fonction : des bâtons blancs. Puis apparaissent trois princes dont les ombres hagardes s'accrochent à la lumière spectrale des torches de résine et des lanternes qui éclairent des profondeurs des lieux. Chaque prince porte les regalia les plus symboliques : la couronne, le sceptre et la main de justice, qu'ils viennent déposer sur le cercueil. Sur leur passage, tous les participants se sont inclinés, non pas en raison de leur statut, mais car ils sont porteurs des insignes les plus prestigieux qui seront utilisés pour le prochain sacre.
Quelques secondes à peine se passent avant que la voix forte du roi d'armes se répercute par trois fois dans le caveau :
Le roi est mort; vive le roi !
Le roi est mort; vive le roi !
Le roi est mort; vive le roi !
A son tour, comme en écho, le héraut posté dans le chœur, répéta le triple cri :
Le roi est mort; vive le roi !
Le roi est mort; vive le roi !
Le roi est mort; vive le roi !
Alors seulement, le grand maître des cérémonies brisa son bâton de commandement : les offices de la maison royale étaient rompus. il appartenait désormais au nouveau roi de nommer les prochains officiers qui dirigeraient sa maison.
Au commandement du grand maitre des cérémonies, le comte de Saint-Paul, les hérauts d'armes déposent dans la crypte les insignes de leur charge conférée par le défunt (caducées, cottes d'armes, toques...) ; seuls les bâtons de cérémonies sont brisés. "Les Honneurs" du défunt sont également apportés (écus, éperons, gantelets, heaume, pennon...) ainsi que les Regalia déposés sur le cercueil.
Seul le Grand maître de France touchait de son bâton de commandement la bière royale et l'emportait pour le briser plus tard devant le noveau roi. Après l'intervention symbolique du Grand maitre de France, celui qui a été désigné par le roi d'armes, s'avance avec la bannière royale.
Là, dans l'obscure sanctuaire, le comte de Saint-Paul, après que la couronne et autres Regalias aient été ôtés de la bière, en baissant vers le cercueil le bâton de commandement, symbole de sa charge, dit trois fois d'une voix de circonstance "Le roi est mort!" tandis que l’étendard royal s'incline ; après quelques instants, invitant les présents à se recueillir, il lance d'un ton lugubre "Prions tous Dieu pour le repos de son âme! ".
Puis le temps du silence écoulé au sablier de l'histoire, la voix de stentor du comte de Saint-Paul résonne encore, sonore. Répercutée, à nouveau trois fois par les voutes sépulcrales du caveau et du corridor c'est un caverneux "vive le roi! » qui parvient à tous ceux qui sont massés dans la basilique. La bannière de France est relevée (elle est le seul symbole à ne pas avoir été déposé sur le cercueil). Et les hérauts, à leur tour de le relayer puis d'annoncer "Vive le roi Louis treizième de ce nom par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, très chrétien notre très souverain seigneur bon maître, auquel Dieu doit très heureuse et très longue vie : Vive le roi Louis".
Ensuite, les rites funéraires accomplis, le passage est refermé, et comme un irréel linceul, les ténèbres ensevelissent à nouveau l' insondable souterrain.
Henri IV vient d'entrer dans l'éternité et la légende : le mythe commence pour un renom qui traversera les siècles ! et dans un continuité pour la première fois clairement plus filiale que dynastique, il attend son propre fils.
Le 14 mai 1643, Louis XIII, le fils d'Henri IV, meurt 33 ans jour pour jour après son père. Le fils et le père, si proches et si tôt séparés, vont se retrouver.
La mort d'un roi est toujours troublante, mais quand le hasard s’en mêle en créant une analogie entre les dates anniversaires, il renforce l'événement funeste, d'un message divin. Ainsi est prouvé que la mort d'un roi obéit à des plans échappant au commun des mortels.
A la disparition de Louis XIII, selon la volonté de ce dernier, l'antique rituel funèbre connait quelques changements significatifs. Son corps ne s'arrêtera pas à Notre-Dame, et ne traversera pas pas plus Paris. Et le point le plus symbolique du cérémonial est la disparition définitive de l'effigie.
Est-ce parce que Louis XIII a souhaité, pour des raisons d'économie, que ses funérailles soient les moins onéreuses possibles, ou bien, la monarchie bien solide sur ses bases, n'a plus besoin de ses fondamentaux funéraires venus du fond des âges ? Le cérémonial appliqué aux deux premiers Bourbons initie de fait dans la pratique quelques variations. Le changement de fond en lien avec une ritualisation des obsèques royales héritée du Moyen-âge, c'est que la tradition de l'inhumation perd de son sens premier et de sa densité symbolique ; elle ne constitue plus une étape essentielle visant, comme le sacre, à légitimer le nouveau roi.
On peut dés lors parler de rupture dans l'usage, plutôt que de transition
Parmi les premières entorses au cérémonial, on s'arrêtera à titre d'exemple à la mort de Louis XIII. Le testament de ce dernier confie la régence à son épouse, Anne
d’Autriche. Cependant sa veuve est soumise à un conseil de régence dont la majorité des voix déterminera la décision finale. Le 18 mai, le tout jeune Louis Louis XIV tient un lit de justice,
cassant le testament de son père, alors que la dépouille du roi n'est pas encore descendu dans le caveau des cérémonies
On l'a vu, Louis XIII n'a pas voulu d’effigie. Est-ce que parce que le roi a voulu des obsèques les plus dépouillées possibles. Pour Cédric Coraillon, la raison est
ailleurs, et il donne l'explication
"Au moment de la mort, Louis XIII se conçoit comme un simple mortel. [...] Le corps du souverain n’a plus la double nature humaine et représentative. La dualité du corps royal où se côtoient l’humanité et la vertu symbolique de l’État ne fonctionne plus. Désormais, la mort est vécue comme le passage du corps politique glorifié à une humanité consubstantielle aux autres humains".
(source Cédric Coraillon , « Les deux morts de Louis XIII », Revue d’histoire moderne et contemporaine 1/2008 (n° 55-1) , p. 50-73 .URL : www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2008-1-page-50.htm.).
Louis XIII a voulu partir le plus simplement possible à Saint-Denis. S'éloignant de la tradition, le roi entendait rendre à la terre le corps de l'homme expiré !
Rien de plus ! Mais comme le précise Cédric Coraillon "il apparaît clairement que la simplicité ne convient pas à la mort des souverains". Et la dépuoille de Louis XIII n'a pas manqué
d'apparat mortuaire. Contrairement à ses prédécesseurs la dépouille n'ira pas à l'abbatiale, après être passé à Notre-Dame, puis traversé solennellement Paris.
C'est de sa résidence de Saint-Germain où il est décédé, que le roi selon sa volonté est porté directement à sa dernière demeure.
Dans cet abîme du temps aboli et de silences, dans cet espace clos d’infinies éternités, là où les rois en quête d'immortalité, gisent à tout jamais, Louis XIII attendra, dans son cercueil de chêne, chemisé de plomb, 72 ans dans un continuité dynastique et filiale, la dépouille de son propre fils, Louis XIV.
Ce qu'aucun deux n'a prévu, c'est qu’exhumé en 1793 dans l'ordre où ils ont été porté à Saint-Denis, le corps d'Henri IV sera recouvert de celui de Louis XIII, lui même recouvert par celui de Louis XIV. Ce trio royal qui avait souffert de la perte du père s'est retrouvé réunit dans la fosse creusée par les révolutionnaires pour les anéantir définitivement .
Louis XVIII est le dernier souverain inhumé à Saint-Denis et le dernier a bénéficier du cérémonial millénaire.
Le 24 septembre 1824 la translation de son corps des Tuileries à Saint-Denis donne lieu à un déploiement exceptionnel. Qui perçoit que dans cette exaltation morbide c'est le char funèbre de la monarchie qui passe pour la dernière fois.
F Ribes, médecin ordinaire de l’hôtel Royal des invalides. Voici une synthèse de son récit: Le 24 septembre, le départ du cortège, d’environ 2,4 km de long, était annoncé par 101 coups de canon et la grosse cloche de Notre Dame de Paris, entrainant avec elle celles de toutes les églises de Paris. Le convoi était ouvert par les états-majors des corps d’armée, suivi des bataillons marchant au son des tambours voilés. Venaient alors les différents corps de garde de l’infanterie et de la cavalerie, les officiers généraux, la garde nationale, à pied et à cheval, et la députation des charbonniers et des forts des halles, dans leurs costumes traditionnels. Enfin, juste après les officiers de la maison du Roi, venaient les quatorze voitures de la famille royale. Elles étaient drapées de noir et portaient sur le siège et les portières le blason aux armes de la France. Chacune était attelée à huit chevaux recouverts de draperies noires parsemées de larmes dorées et argentées. La dernière voiture était le luxueux carrosse du Dauphin qui précédait lui-même le char funèbre. « Les huit chevaux qui le tiraient étaient couverts de caparaçons de deuil en velours; toutes les franges, galons et cordelières, de même que les larmes étaient en argent. Seuls les lys étaient brodés en or. »
L'ultime et dernier rituel cérémonial usité depuis le moyen-âge allait commencer dans cet espace cérémoniel exiguë. Derrière le cercueil, suit le roi d'armes.
Une fois descendu dans le souterrain, le roi d'armes s'est placé à côté du cercueil . D'une voix de stentor il appelle chacun à leur tour les autres hérauts pour qu'ils le rejoignent et viennent y faire leur dernière charge.
Le premier à le rejoindre portaient les éperons ; le second, les gantelets ; le troisième l'écu ; le quatrième l'armet timbré ; le cinquième et dernier, la cotte
d'armes.
Puis vont se succéder au fur et à mesure de la cérémonie les premiers gentilshommes civils ou militaires de la maison du roi. Ce dernier les a distingués en leur
confiant des offices spécifiques. Les trois premiers apportent respectivement la bannière royale, la bannière de France, et l'épée. Puis arrive le grand maître d'hôtel du roi, devant lequel
tous les maîtres d'hôtel passent en jetant dans le caveau les symboles de leur fonction : des bâtons blancs. Puis apparaissent trois princes dont les ombres hagardes s'accrochent à la lumière
spectrale des torches de résine et des lanternes qui éclairent des profondeurs des lieux. Chaque prince porte les regalia les plus symboliques : la couronne, le sceptre et la main de justice,
qu'ils viennent déposer sur le cercueil. Sur leur passage, tous les participants se sont inclinés, non pas en raison de leur statut, mais car ils sont porteurs des insignes les plus prestigieux qui seront utilisés pour le prochain sacre.
Quelques secondes à peine se passent avant que la voix forte du roi d'armes se répercute par trois fois dans le caveau :
Le roi est mort; vive le roi !
Le roi est mort; vive le roi !
Le roi est mort; vive le roi !
A son tour, comme en écho, le héraut posté dans le chœur, répéta le triple cri.
Alors seulement, le grand maître brisa sa baguette : la maison royale étaient rompue. il appartenait désormais au nouveau roi de nommer les prochains officiers qui dirigeraient sa maison.
MORTS VIVANTS
Association Bâtisseurs des Tuileries - Michel Hourdebaigt © 2010-2022
Contact : michel.hourdebaigt [arobase] gmail.com