Puis il s'agissait d'anéantir jusqu'au nom, jusqu'au souvenir, jusqu'aux ossements des rois; il s'agissait de rayer de l'histoire quatorze siècles de monarchie.
Mille et un fantôme. Alexandre Dumas
Mais dans un temps abstrait pour les âmes des rois, le siècle libère brutalement sous le règne de Louis XVI une démesure de violences, jamais égalée dans le royaume. La transition politique amorcée en 1789 s'est transformée en une rupture institutionnelle favorisant une apocalypse conduisant à la construction d'un monde nouveau, un monde républicain où les rois n'ont plus de place.
Le 14 septembre 1791, intense recueillement ! Le prieur de Saint-Denis, Dom Verneuil célèbre la dernière messe ; ensuite les moines quittent définitivement les lieux, obéissant au décret qui mettait fin à leur ordre religieux et les dépossédait des biens de la communauté.
Le 21 septembre 1792, la république est proclamée et le 21 janvier 1793, le corps de Louis XVI est jeté dans une fosse anonyme et recouvert de chaux, au cimetière de la Madeleine à Paris.
Ses aïeux d'outre-tombe semblent oubliés dans leur royaume des ombres. L'abbatiale est devenue "Bien national" et pour occulter durant cette période d'impiété son lien avec le vénérable évêque de Paris et ses compagnons martyrs, la ville change son nom en "Franciade". Le grand chambardement que connaît la France semble épargner le dernier refuge des rois, comme si l'au-delà leur accordait encore un statut d'éternelle inviolabilité.
Ainsi dans un ailleurs hors du temps, dans ce havre de paix les princes reposent dans leur grand vaisseau de pierres et de lumières, jusqu'au décret du 1er août 1793.
Le texte stipulait que pour fêter la prise des Tuileries du 10 août 1792, "Les tombeaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l'église de Saint-Denis,
dans les temples et autres lieux, dans toute l'étendue de la République, seront détruits le 10 août prochain". Il reviendra à ceux qui ont la fonction de "commissaires aux accaparements" et
qui ont été nommément désignés par le gouvernement de récupérer dans les tombes, ce qui sera utile à la République en danger (le plomb pour faire des "balles patriotes" pour tuer les ennemis du
peuple ; l'or pour continuer la guerre contre les royaumes coalisés contre le régime ...).
On aurait pu croire qu’il ne s’agissait que de retirer des tombeaux l'ombre des rois, et récupérer le plomb des cercueils, l'or, et tout ce qui était récupérable. Non, pas que !
En réalité [...]"il s'agissait d'anéantir jusqu'au nom, jusqu'au souvenir, jusqu'aux ossements des rois; il s'agissait de rayer de l'histoire quatorze siècles de monarchie".
Les 6 et 8 août 1793, les premiers tombeaux royaux sont profanés. Le vicomte de Chateaubriand commente cette première phase du sacrilège.
" Le nombre de monuments détruits du 6 au 8 août 1793, au soir, qu'on a fini la destruction, monte à cinquante et un : ainsi, en trois jours, on a détruit l'ouvrage de douze siècles".
Mais il restait tant de corps à extraire !
Par anticipation, à l'extérieur, jouxtant le transept nord, deux grandes fosses sont creusées. C'est dans ces fosses et sur un lit de chaux que devaient être jetés, comme à une voirie, les ossements de ceux qui avaient fait de la France la première des nations, depuis Dagobert jusqu'à Louis XV."
Le 11 septembre 1793, le fabuleux trésor de Saint-Denis amassé pendant des siècles (meubles, reliquaires, objets précieux cultuels, votifs...) est ramené à Paris. La majorité des œuvres en or et en argent y seront fondues sur ordre de la Convention, pour servir à l'effort de guerre.
Dans les mille et un fantôme (chapitre IX) Alexandre Dumas revient sur la suite des profanations.
Le 13 octobre 1793, alors que Marie-Antoinette comparaissait pour la première fois devant ses juges, le caveau des Bourbons est ouvert. Ainsi donc, quatre jours avant que la veuve de Louis XVI ne soit guillotinée, une nouvelle et définitive apocalypse républicaine se prépare pour à fondre sur "l'asile de la mort" des rois.
Ce n'est pas un hasard si au moment ou l'ancienne reine monte sur l’échafaud, qu'on tirait " à son tour du caveau des Bourbons le cercueil du roi Louis XV"[...] qui était, selon l'antique coutume du cérémonial de France, couché à l'entrée du caveau où il attendait son successeur, qui ne devait pas venir l'y rejoindre".
Aujourd'hui, un cinéaste "gore" peu imaginatif ferait fortune à reconstituer les actes de vandalisme de 1793.
Tirés violemment de leur sommeil éternel par les révolutionnaires, les pathétiques mânes des rois et leurs protestations muettes sont impuissantes face à la fureur de profanateurs mortifères, venus infliger à leur triste anatomie une seconde mort.
Mais les révolutionnaires ne vont pas que retirer des tombeaux l'ombre des rois et de leur famille. Sous les dalles tubulaires des premières dynasties placées principalement dans des chapelles latérales et le transept, les révolutionnaires ne trouveront que cendres, poussières et os secs, rappelant les âmes exilées des lignées royales.
Il n'en sera pas de même quand ils s'attaqueront aux tréfonds de l'église d'où ils exhumeront des cryptes et chapelles souterraines, les dépouilles des derniers Valois et des Bourbons, dans une puanteur acre de décomposition mêlée à des substances balsamiques utilisées pour l'embaumement. Ici, les corps les corps étaient soient putréfiés soient en putréfaction liquide.
Dans des miasmes fétides, entre fascination et répulsion, 78 rois et reines, 63 princes et princesses et 10 serviteurs d'un royaume devenu république, sont arrachés de leurs linceuls. Des cercueils ouverts, principalement l'or et le plomb sont retirés. Des morceaux de corps sont dérobés (ongles, dents, poils de barbe, jambe...) dans une sorte de fétichisme morbide. Puis les cadavres ou ce qui en reste, basculés des cercueils sont jetés dans deux fosses communes, dans lesquelles est déversé de la chaux. Au début le viol de l'abbatiale bénéficie d'un enthousiasme partagé entre le peuple et les fossoyeurs, et certains corps toujours bien conservés sont exposés à l’humiliation publique.
Mais même dans un temps où le peuple haïssait ses rois, l’exhalation des profanations cédera à l’écœurement. La nausée viendra aux plus fanatiques devant ce charnier nauséabond, où les tombeaux outragés et l'entassement des défunts exhalant des odeurs de charogne bourrée d'aromates basalmiques, ajoutaient au morbide. Un témoin raconte que si les corps d'Henri IV, Louis XIII et Louis XIV et de son épouse n’étaient pas du tout décomposés, d'autres n'avaient pas échappé à la corruption :
"la plupart des corps étaient en putréfaction exhalant une vapeur noire et épaisse d'une odeur infecte".
Le 13 octobre, gêné par les exhalaisons cadavéreuses, mais entêtés, les révolutionnaires s'attaquent à la crypte des Bourbons. Le passage pour sortir les bières étant trop étroit, le plafond du caveau est défoncé. Sur deux rangées, dans un espace confiné, 57 cercueils apparaissent ouatés dans une lumière spectrale.
Le premier corps extrait de son cercueil est Henri IV. Parfaitement conservé, la gloire posthume dont le roi a bénéficié freine globalement les humiliations réservées aux autres membres de la dynastie. Son cadavre est exposé à l'entrée de la crypte, dressé contre un pilier. Seule la gifle hargneuse d'une mégère fait chuter le défunt.
Même mort depuis fort longtemps, Louis XIV, reconnaissable malgré son visage "couleur d’ébène" en impose encore, note Henri-Martin Manteau, présent sur le site :
"[...] il semblait que jusque dans la mort, ce prince commandait le respect et que, par la sévérité de ses traits, il menaçait alors ses profanateurs. Incertains quelques instants et bientôt indignés de cette majesté survivante à elle-même, ils s'empressèrent de précipiter le corps dans la fosse commune".
Henri Martin Manteau, témoin qui assiste à l'exhumation des trois premiers rois de la dynastie Bourbons a laissé un témoignage de cet instant. Henri IV est rejoint dans la fosse commune par son fils quant à son tour, Louis XIV est jeté sur celui de son père et de son grand-père. Tombé sur ce dernier, il " [...] le couvrit presque tout entier [...] Nos deux plus grands princes furent ainsi réunis : ce fut une consolation pour leur ombre".
Après les Bourbons, les ouvriers s'attaquent au caveau renfermant les corps de quelques Valois-Angoulème, soit 7 corps, dont celui de François 1er.
Et ainsi de suite jusqu'à ce que les profanateurs terminent leur besogne en ouvrant le sépulcre de la comtesse de Flandre, fille de Philippe le Long. Et d'emprunter à Alexandre Dumas ce constat, [...] tous les caveaux étaient effondrés, tous les sépulcres étaient vides, tous les ossements étaient au charnier[...] .Le cyclone passé, plus un seul despote ne reste à Saint-Denis[...].
"Toutes les ombres ont été tirées de leur tombeau"
Malgré quelques maladies imputables principalement aux cadavres en décomposition, aucun ouvrier n'a succombé à la tâche. Et on
termine
Inscrivons donc, s’il est possible, sur tous les monuments, et gravons dans tous les cœurs cette sentence "Les barbares et les esclaves détestent les sciences, et détruisent les monuments des arts ; les hommes libres les aiment et les conservent".
Abbé Grégoire. Rapport sur les destructions opérées par le Vandalisme et les moyens de le réprimer.31 aout 1794.
Dans ses mémoires, l'ancien évêque constitutionnel de Blois Henri Grégoire, surnommé "l'abbé Grégoire" prétend avoir été le premier a inventer le mot de "vandalisme" dans son "Rapport sur les destructions opérées par le vandalisme et les moyens de le réprimer" à la convention nationale. Il écrit "Je créai le mot pour tuer la chose" (d'autres avant lui ont le mot- Lire "Le vandalisme de la Révolution" de François Souchal. Nouvelles éditions latines.1993).
Curieusement l'abbé qui a combattu les destructions des monuments qui ont fait la richesse artistique du patrimoine de l'ancien régime, ne dénonce pas le saccage des tombeaux royaux.
Et pourtant, les vandales ont été arrêtés dans leur œuvre d’anéantissement par un seul homme. Aujourd'hui la majorité des tombeaux font l'admiration des visiteurs, mêmes si les gisants, orants et transis sauvés du cataclysme, gardent encore dans leurs chairs de marbre blanc des cicatrices inesthétiques qui témoigneront éternellement d'une époque sombre.
Il faut donc rendre un hommage appuyé au courageux Alexandre Lenoir, qui en pleine terreur révolutionnaire, mettant en avant son titre de conservateur réussit à convaincre que les tombeaux des "ci-devant rois " appartenaient au patrimoine Français.
Dans cette période terrible ou ne pas être suspect était suspect, et être suspect c'était perdre sa tête, oser se battre au nom de l'art pour sauver des symboles liés aux ex-rois était fortement déconseillé à qui tenait à sa vie, surtout quand un décret était à exécuter. A moins d'être candidat au suicide !
L'orgueil de ceux qui ne peuvent édifier est de détruire.
Mille et un fantôme. Alexandre Dumas
Grâce à Alexandre, une grande partie des tombeaux est sauvée de la destruction totale, dont certains comme les mausolées renaissance impressionnant encore les visiteurs. Exposés au Musée des monuments français qu'il a été autorisé à créer dans l'ancien couvent des Petits-Augustins, les monuments funéraires retrouveront leur place initiale, lors de la restauration monarchique et le retour de Louis XVIII (le second frère de Louis XVI).
L'ordre et la religion rétablis, Napoléon 1er décide en 1806 que l'abbatiale qui servait de cimetière aux dynasties avant la révolution, serait le lieu où reposerait son propre lignage (ce n'est qu'en exil à Sainte-Hélène, qu'il demandera à reposer "aux bords de la Seine"). Le décret du 20 février 1806 stipule que l'abbaye de Saint-Denis "est consacrée à la sépulture des Empereurs" ; un chapitre de dix chanoines est créé et est chargé de desservir l'église.
En juin 1807 Napoléon rapatrie du royaume de Hollande, le corps de son neveu emporté par la maladie, à l'âge de 4 ans. L'empereur n'ayant pas encore de descendance directe, Napoléon-Charles, premier enfant de son frère Louis, roi de Hollande, était son héritier putatif. En attendant que les travaux de la crypte impériale située dans le caveau des Bourbons soient achevés, selon les ordres que l'empereur donne le 22 juin 1807 de Tilsit à Cambacérès, le corps de l'enfant est déposé provisoirement dans une chapelle de Notre-Dame de Paris.
La république et l'empire enterrés, la monarchie sort d'outre tombe où elle a bien failli rester.
Louis XVIII qui profite de la résurrection monarchique se préoccupe de restaurer les symboles forts de l'ancien régime. Le frère de Louis XVI qui occupe enfin le trône qu'il espérait alors même que son ainé l'occupait, rassemblera les ossements de ses prédécesseurs dans un ossuaire, situé dans la chapelle souterraine, dite chapelle de Turenne. Cette dernière abritait la momie bien conservée de Turenne, qui est la seule dépouille à avoir échappé à la destruction. Turenne est enseveli aujourd'hui aux Invalides.
Les corps (supposés) de Louis XVI et de Marie-Antoinette sont exhumés du cimetière de la Madeleine à Paris. Leurs ossements sont conduits solennellement dans la crypte des Bourbons. Le martyr de Louis XVI et celle de son épouse, feront que leur fin exemplaire plus pour leur mémoire que la cérémonie que Louis XVIII organisera, 22 ans après les faits, pour le transfert de leurs ossements. Dans la basilique le cénotaphe de marbre qui rappelle leur mémoire est un groupe statuaire les représentant priant. Le roi est en habit de sacre et la reine en habit de cour.
Le 23 décembre 1816, Louis XVIII signe une Ordonnance qui établit "le Chapitre royal de Saint-Denis" pour desservir l'abbaye.
Le texte stipule que :
"La restauration de l’ancienne église de Saint-Denis a fixé toute notre sollicitude. Ce monument nous est cher à bien des titres : déjà nous l’avons rendu à sa pieuse destination en apportant tous nos soins à ce que les dépouilles des princes et princesses de notre famille, dont la Providence nous a ménagé la conservation, y soient déposées près des rois, nos aïeux. Nous désirons encore pourvoir à perpétuité aux prières qui doivent consacrer ce dépôt, et fonder, à cette fin, un Chapitre royal de Saint-Denis"(source : Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglemens et ..., Volume 21. 1827. Par France, Jean Baptiste Duvergier. Googlebook).
Le 26 mai 1819, trois reliquaires précieux offerts par Louis XVIII pour recevoir les reliques de Saint-Denis et de ses
deux compagnons sont portés dans la basilique. Les ossements sacrés avaient échappé à l'anéantissement de 1793, grâce à un moine bénédictin, ancien trésorier de l'abbatiale, Dom Warenflot qui les
avait soustraits à la fureur des révolutionnaires.
Louis XVIII sera le dernier souverain à reposer à Saint-Denis. Pour donner plus d’importance à ses funérailles, son corps sera exposé dans la basilique, du 22 septembre au 25 octobre 1824.
Ceux qui le suivent sur le trône mourront en exil et sont enterrés hors de nos frontières. Seul le roi Louis-Philippe, décédé en Angleterre sera enseveli dans la chapelle royale de Dreux, nécropole des Orléans. Sous le règne de Louis XVIII, les cercueils d'autres membres de la famille royale seront déposés dans la crypte.
Le 8 juin 2004, le cœur présumé appartenir au jeune Louis XVII, le fils de Louis XVI, a priori mort à 10 ans, dans la prison du Temple, a été déposé solennellement à Saint-Denis. Amélie de Bourbon Parme, dans son ouvrage consacré à Louis XVII (Le sacre de Louis XVII- éditions Gallimard-2001) relève un titre vu dans un journal "L'ADN rend sa couronne à Louis XVII".
Le 4 juin 1789, son frère ainé Louis-Joseph-Xavier-François de France, trépassait à 7 ans, et y avait été enseveli le 13 juin suivant.
Image : à gauche caveau souterrain des Bourbons (on aperçoit à l'entrée et à droite l'emplacement gagné dans le mur pour déposer le cercueil du dernier souverain descendu dans la crypte) et à droite plan de la basilique et emplacements de la grande majorité des sépultures.
L' article 3 de la constitution du 24 juin 1793 qui stipule que "Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi" n'a jamais jugé utile de préciser que tous les hommes ont droit à la même éternité. Mais égaux devant la mort, ils ne sont pas tous conduits à leur dernière terrestre de la même façon. La sacralité d'un roi thaumaturge, qui a reçu l'onction du Seigneur le jour du sacre, fait que son inhumation revêt un caractère particulier, notamment religieux et politique.
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