Mais arrêtons le sablier de l’histoire, pour brosser le contexte historique dans lequel Charles VI et Henri V évoluent.
L'antique cérémonial entourant la mort des souverains, remontait au Moyen-âge. Dans les grandes lignes, il est resté immuable jusqu'à la Renaissance. Il évolue de manière significative à la mort de Louis XIII. Il s'est construit sur un évènement majeur de la guerre de cent-ans : la mort de Charles VI, dit le Bien-Aimé, en 1422.
Alors que l'Angleterre est gouvernée par un roi encore jeune et talentueux, Henri V de la maison de Lancastre, à la tête de la France, règne Charles VI, un roi intelligent, aimé de son peuple, dont hélas la folie s'est emparée, et s'aggrave les années passant. La démence du roi étant de plus en plus fréquente, dans un moment de lucidité, Charles VI instaure une régence.
La folie du roi favorise la lutte que se livrent les ducs de Bourgogne et d'Orléans pour leur part de pouvoir. Leurs rivalités larvées se transformeront en affrontements mortels, aboutissant à une guerre civile, entre "Bourguignons et Armagnacs". L' affaiblissement du royaume de France n'échappe pas au perspicace et audacieux roi d'Angleterre.
Le jour de la Saint-Crépin, le 25 octobre 1415, Henri V après une campagne aventureuse écrasait sur la terre de France, avec 15.000 hommes, la fine fleur de la chevalerie française (principalement composée de Bourguignons) à la bataille d'Azincourt, soit 50.000 hommes.
Une défaite militaire aux effets politiques désastreux pour un royaume dont le souverain insensé est le jouet des deux clans rivaux. Bientôt la famine, la peste, la dysenterie et autres épidémies viendront s'ajouter aux malheurs du royaume.
Le 21 mais 1420, alors que le royaume des lys est plongé dans une guerre civile, Isabeau de Bavière, au nom de son époux, Charles VI, signait l’infâme traité de Troyes, rétablissant la paix entre la France et l'Angleterre.
Le traité écarte le fils du roi et d'Isabeau de Bavière, le dauphin Charles (futur Charles VII), que son géniteur qualifie de "soi-disant dauphin". A ce
dernier, il a préféré pour lui succéder à sa mort, Henri V. En pleine lucidité il confirme ce choix qu'il fait entériner par une assemblée qui joue la fonction octroyée aux États
généraux.
A cette exhérédation injuste, à une souveraineté abandonnée aux Anglais, Dieu répondra tardivement par l'envoi de sa messagère auprès de Charles : Jeanne d'Arc.
Le texte stipulait deux dispositions essentielles, imposées par le tactique Henri V, qui avait su profiter de la division du royaume de France.
D'une part, à la mort de Charles VI, Henri V lui succèdera. D'autre part, pour renforcer la légitimité de l'Anglais à monter sur le trône de France (à la place du fils légitime du roi de France), Charles VI donne en épousailles au roi d'Angleterre, sa fille Catherine de Valois. Autant dire que le royaume était la dote que Catherine apportait au roi d’Angleterre. Après cette belle opération, Henri V obtient plus : il est nommé régent de France.
Le 6 décembre 1420, les États généraux enregistrent sans état d’âme le traité de Troyes : la France voulait la paix et en avait assez de payer des impôts destinés à la poursuite des hostilités !
Comme rien ne se passe comme prévu dans un pays plongé dans le chaos, Henri V trépasse le 31 août 1422 au château de Vincennes. Il avait 34 ans. Les sujets de Charles VI y voit une bénédiction et une punition divine, d'autant plus que le traité de Troyes, n'a pas prévu le cas où le roi d'Angleterre mourrait le premier, et en tout cas pas le traité de Troyes. Qu'à cela ne tienne pour les juristes : la couronne passe au fils qu'Henri V a eu de son épouse française, Catherine.
Georges Minois dans son "Charles VII, un roi shakespearien" (édition Perrin-2005) rapporte le commentaire d'un chroniqueur contemporain, Thomas Basin :
"On raconte qu'une enflure de son ventre et de ses jambes, gonflés comme par l’hydropisie, fut cause de sa mort, et le peuple disait communément qu'il avait gagné ce mal parce qu'il avait ordonné ou permis le pillage et la dévastation par ses gens du domaine et de l'oratoire de Saint-Fiacre, près de Meaux. On appelle, en effet, communément mal de Saint-Fiacre cette maladie qui gonfle hideusement le ventre et les jambes."
Les Anglais pleurent sincèrement un roi exceptionnel, immortalisé par William Shakespeare.
Henri VI, son fils, et petit fils de Charles VI, à neuf mois, devient l’héritier du roi de France. Jean de Lancastre, duc de Bedford, son oncle, assure désormais la régence de l'Angleterre. L'homme est intelligent et doté de la personnalité d'un grand politique.
Loyal envers son frère défunt et son neveu, il ne cherche pas à jouer une carte personnelle ; il entend veiller aux intérêts français de ce dernier. Celui avec lequel les Français doivent traiter ordonne l'organisation des funérailles de son frère, qui reposera dans l’abbaye de Westminster.
Extirper mes viscères ? Si tu m'éviscères aujourd'hui, je t'autoriserai à me saler et même à me manger demain. William Shakespeare.Henri IV.Scène V,4.
La thanatopraxie mal maitrisée. Dans les cuisines du château de Vincennes va se dérouler une étrange cérémonie, répondant plus à des règles d'hygiène, qu'à l'exécution d'une recette de cuisine : l'excarnation du corps royal, ou mos teutonicus. La technique consiste à couper le corps en morceaux et d'en faire bouillir les parties, pour séparer les chairs des os. En effet, au moyen-âge, l'art funéraire de l’embaumement étant mal maitrisé, lorsqu'il faut ramener le corps d'un défunt, décédé loin de sa sépulture familiale, il n'est pas envisagé de le conserver, pour des raisons d'hygiène. Le spécialiste de l'histoire médiévale, Jacques Le Goff, indique que Charles le Chauve au IX siècle a bénéficié de cette pratique.
En 1270, l'historien indique dans son ouvrage dédié à Saint Louis que nous savons par Geoffroy de Beaulieu, confesseur du roi, que cette méthode est retenue quand il
fallut ramener à Saint-Denis les corps de Louis IX (Saint Louis) et de son fils Jean Tristan décédé à Tunis " les chairs de son corps furent bouillies et séparées de ses os". Le célèbre
médiéviste complète cette information par cette remarque de Primat de Saint-Denis " Les valets de la chambre du roi et tous les serviteurs et ceux à qui l'office appartenait, prirent le
corps du roi et le découpèrent membre à membre et le firent cuire si longuement en eau et en vin que les os en churent tout blancs et tout nets de la chair et qu'on pouvait bien les ôter sans
employer la force".
En 1285, le corps de son fils, Philippe III, dit Le Hardi, et père de Philippe le Bel, mort à Perpignan, connait le même sort.
Ainsi quand Henri V décède loin de son pays, on ne recourt pas aux soins de thanatopraxie. Dans les cuisines de Vincennes, le trépassé est éviscéré et son cœur retiré. Ce dernier sera embaumé. Ensuite le corps est dépecé dans un but de décarnisation. Les membres sont bouillis dans une eau, mêlée de vins, parfumée d'aromates et autres épices rares, donc onéreuses. Une fois que les chairs se sont détachées des os, l'eau est jetée cérémoniellement dans le cimetière de Vincennes, et les restes du souverain sont enfermés séparément dans trois contenants.
Les os et les chairs reposent dans un coffre de plomb, tandis que les viscères, respectueusement bouillies dans les mêmes conditions que le corps, sont placées chacune dans un coffret précieux, pleins de sels et d'aromates, qui ne sont pas loin de rappeler les vases canopes des Égyptiens. Le cœur embaumé est enfermé dans un carditaphe (petit écrin dédié à recevoir un cœur).
La "Dilaceratio corporis" permettait au roi de
faire don de ses entrailles, de son cœur, et de son corps (voire de ses chairs quand le corps a été bouilli) à qui bon lui semble. Le fractionnement du corps supposait différents lieux de
sépultures et les heureux bénéficiaires (des institutions religieuses) en tiraient des bénéfices. Par testament le défunt pouvait faire à ces derniers des dotations importantes, auxquelles
étaient susceptibles de s'ajouter celles de son successeur et des proches. Bien entendu, quand le roi était promu au statut de saint, de son vivant par anticipation, ou de manière quasiment
avérée à sa mort, comme dans le cas de Louis IX, les bénéfices quadruplaient. Ceci explique pourquoi la "quadri-partition" de son corps a été l'objet d’âpres convoitises.
Après le corps, le cœur d'un roi est très convoité. Maitre Henri de Mondeville, le célèbre chirurgien de Philippe Le Bel et de
son fils, Louis X, dit Le Hutin, a laissé un traité de chirurgie où il souligne que "le cœur est l'organe principal par excellence [...]. Il donne à tous les autres membres du corps entier le
sang vital, la chaleur et l'esprit". Mais ce savant dépasse le cadre de sa fonction qui relève de l'empirisme, en posant un raisonnement à la croisée de la science et de la politique, quand il
considère que le cœur est "comme un roi au milieu de son royaume".
L'homme considéré comme un des pères de la chirurgie française a également, et cela entre dans sa fonction de chirurgien, "préparé" (embaumé) deux rois de France. Aussi, a-t-il consacré un chapitre traitant "De la préparation et de la conservation des cadavres". On ne s'en s'étonnera pas, attaché aux riches, considérant que sa qualité mérite "un salaire convenable" à la hauteur de ses hautes compétences, Henri estime que "la préparation d'un corps d'un pauvre n'est ni nécessaire ni utile ; il n' y a là rien à gagner, nous ne nous en occuperons donc pas".
Il serait trop long de résumer ses conseils pour éviter la corruption du corps, mais pour faire une transition avec la suite,
on notera qu'il préconise lorsque le chirurgien obtient "un privilège spécial de l'église romaine" notamment d'inciser le corps, de retirer les entrailles, et de bourrer la cavité évidée, entre
autres, d'aromates, d’herbes odoriférantes.
On notera que ce chirurgien très imbu de sa personne et mettant sa fonction au-dessus de tout prend cependant la précaution de préciser que l'exérèse du cœur, l'éviscération et autres techniques utiles à l'embaumement ne sont possibles que par "un privilège spécial de l'église romaine".
La "Dilaceratio corporis" heurte certains théologiens. L'ablation du cœur, la mise en pièces du défunt les choquent. La réticence de ces théologaux contre les prélèvements "post-mortems" vient principalement du lien qu'ils font entre la partition du corps et la résurrection de la Chair, promise par Dieu.
Quand sera venu le temps de la Parousie, que retentira le son de la trompette annonciatrice du jugement dernier, les morts ressusciteront avec leur corps et leur esprit. Selon ces gardiens de la foi, cette coutume d'excérébration, d'éviscération, et de division d'un corps en le démembrant est incompatible avec la résurrection de l’enveloppe corporelle qui ne se fera, que si elle a gardé sa totale intégrité.
En 1299, la décrétale "Detestande feritatis" (De la nécessité de détester la barbarie) de Boniface VIII, stigmatise et interdit cette mutilation, sous peine d’excommunication. Contre cette mode barbare de dépeçage, le pape impose ses solutions :
"Mais, pour que les corps des défunts ne soient plus traités si cruellement, il faut les conduire à l'endroit où, vivants, ils avaient choisi leur sépulture ; si ce n'est pas possible, qu'on leur donne une sépulture chrétienne à l'endroit de leur mort ou tout près, et qu'on attende que leur corps soit tombé en poussière pour le transporter là où ils ont choisi de reposer". (source www.http://terrain.revues.org/3028. Démembrement et intégrité du corps au XIII siècles, de Agostino Paravicini Bagliani- dans mensuel n°208 daté mars 1997)".
On a épilogué sur les motifs et la personnalité de ce pape pour expliquer cette décrétale. Il a été avancé par certains historiens notamment, "son exacerbation personnelle", pour le corps. On ajoutera que ce Boniface là, a canonisé Louis IX, le saint démembré et bouilli (Louis IX), et était l’ennemi de son fils, Philippe Le Bel. Ce dernier, surnommé le "roi de fer", qui avait été excommunié par Clément, sera responsable de manière indirecte, de la mort de ce Vicaire de Jésus-Christ.
Mais la décrétale susvisée, tout comme la position des canonistes romains aura peu d'effet en France. Le médiéviste Alexandre Bande souligne que Philippe le Bel obtiendra respectivement des successeurs de ce pontife, Benoit XI et de Clément V le droit de disposer de son corps. Le premier l'autorise (en 1304) à ramener ses ossements à Saint-Denis s'il décédait loin de la basilique ; le second (en 1306) lui permet de donner à son cœur une seconde sépulture.
La ténacité de ce roi prouve que le souverain instrumentalise son enveloppe corporelle, comme indispensable aux fondements du
royaume. L’Église avait été comparée par Saint-Paul au "corps du Christ". Cette métaphore Paulinienne du corps inspire probablement les rois dont le corps incarne la
personnification de leur royaume.
L'impressionnant convoi qui conduit le catafalque d'Henri V quitte Vincennes le jour de "l'Exaltation Sainte-Croix", soit le 15 septembre. Pour se rendre à la nécropole royale de Westminster, il ne traverse pas Paris.
"L'escorte était formée par cinq cents hommes d'armes, portant une armure noire, montés sur des chevaux caparaçonné d'un métal noir, et pointant vers le sol leurs lances. Puis venaient le roi d’Écosse Jacques et le duc de Bedford suivis de pleureuses, et à l'arrière un long cortège de nobles chevaliers anglais et une suite"(source APA: Kingsford, Charles Lethbridge. (2013). Henry V the Typical Mediaeval Hero. London: Forgotten Books. (Original work published 1901) ; MLA: Kingsford, Charles Lethbridge. Henry V the Typical Mediaeval Hero. 1901. Reprint. London: Forgotten Books, 2013. Print).
Après une étape à Saint-Denis où un service religieux est donné, tandis que 100 torches brulent, le cortège se dirige vers Calais, via Pontoise, Rouen, Abbeville, Hesdin (ville située près du site d'Azincourt), Monsterueil, Boulogne, Thérouanne.
Les Anglais ont déposé sur le chariot funéraire une effigie à "la ressemblance dudict roy [...]" réalisée à partir d'un mannequin d'osier et de cuir bouilli.
Enguerran de Monstrelet précise que l'effigie au masque de cire, les yeux tournés vers le ciel est posée "sur un drap de soie vermeil battu à or".
Ce double du roi traversant l'ouest du royaume frappe les curieux qui se massent pour voir passer l’impressionnante procession. Revêtu des habits de sacre, la tête portant couronne, ayant à main droite une verge et le sceptre royaux, à main gauche une pomme d'or, l'effigie rappelle parfaitement ce roi si actif. Face à cette représentation anthropomorphique réaliste du défunt, il est difficile d'imaginer que ce dernier est trépassé et que ce n'est pas lui qui hiératique est allongé sur le chariot d'apparat, se reposant dans un rituel étrange et inconnu des français.
La route de Paris à Londres est longue et le convoi particulièrement lent, notamment en raison des offices funèbres célébrés là où l'équipage s'arrête. Le frère du roi a devancé le cortège et on trouve trace à Rouen de Jean de Lancastre, dès le 15 septembre.
Tout en veillant sur cette belle province anglaise, le duc attend dans la ville l'escorte qui ramène les restes de son frère qui arrive le 19 septembre. De là, Jean avait prévu de se mettre à la tête de la caravane funèbre jusqu'à Calais. L'actualité va l'en empêcher.
De ce port, les restes royaux sont embarqués le 5 octobre, pour Douvres, sans qu'il ne soit présent. C'est Catherine de Valois, la veuve d'Henri V, et fille du roi Charles VI qui poursuit le voyage jusqu'à Westminster. Henri V, que Dieu avait dès sa naissance inscrit au registre obituaire de cette nécropole, y sera inhumé le 7 novembre.
52 jours plus tard après la mort d'Henri, le 21 octobre 1422, après un règne de 43 ans Charles VI rend l’âme.
Dans sa démence il a plongé le pays dans la guerre civile, a livré son royaume aux Anglais, mais tout un peuple pleure son infortuné souverain, et une souveraineté française perdue.
Le duc de Bedford informé en Normandie du trépas du roi de France, annonce qu’il ira à Paris pour accompagner lui-même Charles VI au panthéon royal dionysien. Il convient donc d’attendre le retour de celui qui par "l'autorité des rois de France et d'Angleterre", assure désormais la régence des deux royaumes (ne pouvant se partager entre les deux états, il nommera son frère Humphrey, duc de Gloucester, et Henri Beaufort, évêque de Winchester, co-régents pour l'Angleterre).
On l'a lu, les techniques d’embaumement sont mal maitrisées. Comme le corps du roi Charles VI ne pourra pas être inhumé dans l'immédiat à Saint-Denis, des dispositions innovantes, liées à cet évènement particulier vont jeter les premières bases du cérémonial mortuaire des rois de France.
Comme de coutume, un certains nombre d'opérations sont effectuées en amont du cérémonial mortuaire.
Après avoir été autopsiée, éviscérée, pour retarder la thanatomorphose, la dépouille est embaumée. Cette opération interne achevée, le corps est lavé avec des compositions d'aromates aux vertus antiseptiques, à l'exception du sexe. Puis la dépouille royale est exposée dans tout un apparat royal, le visage découvert. Chacun peut s'assurer de la mort du souverain.
Deux contemporains des rois Charles VI et Charles VII, dont l'histoire a perdu le nom, ont laissé des documents de référence relatifs à la mort de Charles VI. Un troisième chroniqueur, bien identifié, Enguerran de Monstrelet, "issu de noble généracion" a laissé des chroniques du même nom. En deux manuscrits, ses récits couvrent la période 1400 à 1444 et sont de précieux témoignages ; l'organisation des funérailles de Charles VI y sont évoquées.
A défaut d'identité, le premier auteur est identifié comme ayant été un religieux attaché à l'abbaye de Saint-Denis. Son témoignage est contenu dans la "Chronique du religieux de Saint-Denys, contenant le règne de Charles VI de 1380 à 1422".
La seconde source notable est connue comme le "Journal d'un bourgeois de Paris". Seule certitude : le narrateur était
un clerc Parisien.
Le texte du chroniqueur de Saint-Denis apportent des précisions sur la mort du roi Charles VI.
"Après sa mort, ledit roi très chrétien fut exposé sur son lit pendant un jour entier aux regards du peuple, la face découverte, dans ledit hôtel de Saint-Paul. Cette exposition aurait dû, dit-on, durer trois jours, d'après l'usage adopté pour les rois de France décédés. Son visage avait conservé ses couleurs ; il n'était ni trop altéré ni décomposé ; on eût dit que le roi vivait encore et n'était qu'endormi".
Dans un second temps, la dépouille du roi, comme celles de ses prédécesseurs est déposée dans un cercueil de plomb (mis en plomb) pour cacher la décomposition due, comme déjà lu, à des techniques d'embaumement mal maitrisées:
"Le second jour après sa mort, son corps fut placé dans un cercueil de plomb hermétiquement fermé de tous côtés et rempli de toutes sortes d'aromates odoriférants". Ce premier cercueil sera dernier contenu dans un second de bois (mis en bois), en général de chêne.
Le duc de Bedford arrive à Paris le 5 novembre. Le 9 novembre, ou 11 novembre (pour le bourgeois de Paris le corps est resté au palais du 22 octobre au 11 novembre, jour de la Saint Martin ) la dépouille royale est portée à Saint Denis, mais auparavant, deux cérémonies sont prévues. La première à Notre-Dame de Paris où la dépouille royale restera une nuit. La seconde est fixée à l'église de Saint Lazare, faisant partie d'un enclos du même nom. Situé sur la route de Saint-Denis, Saint-Lazare servait aussi d'étape lors des "entrées royales" des rois, voire des reines, après le sacre ; de même, lors de leurs funérailles.
La seule personne de qualité royale aux obsèques est le duc de Bedford. En tant que régent de France et d’Angleterre, il conduit le cortège, à pied, jusqu'à Notre-Dame de Paris (à cheval de Paris à Saint-Denis) portant " un manteau noir en forme d'épitoge et un chaperon à courte cornette".
En raison de règles de préséances, où notamment le duc de Bourgogne (qui a été écarté de la régence par le duc de Bedfort) et celui de Bretagne auraient du céder le pas à l'Anglais, les deux personnages et l'élite ne se déplacent pas. L'absence de ces grands féodaux désespère le peuple et les bourgeois. Nulle trace de la famille royale : la reine reste recluse dans son hôtel, pour raison de deuil, et pour une période de 40 jours (au cas ou enceinte, elle donnerait au royaume un nouvel héritier), leur fille est à Londres, et le dauphin (et nouveau roi!) à Bourges.
Triste cérémonie où "ceux de son écurie portait son corps comme s'ils avaient été obligés", lit-on dans la chronique du religieux de Saint-Denis ! Alors que les grands vassaux et l'élite font défection, les religieux, les échevins parisiens, les membres du collège de Navarre, de tous les collèges de l'Université, et bien d'autres n'ont pas déserté. Et le grand présent est ce peuple de paris. Cette multitude pleure sincèrement son roi, ce pauvre insensé qu'ils avaient tant aimé, tout en se lamentant sur leur sort, la disparition du souverain aggravant des perspectives d'avenir fort sombre. Comment douter de l'amour du peuple, en lisant les fameuses chroniques '' Ce qui le prouvait, c'est que tous le pleuraient, le regrettaient et déploraient sa mort avec des larmes et des sanglots".
Le premier gisant au visage fidèle à la vraie physionomie d'un roi a été celui de Charles V
Quand la dépouille de Charles VI quitte l'Hôtel de Saint-Pol, pour la première fois apparait dans le cérémoniel funéraire français une effigie à "la semblance" du défunt.
Ce mannequin de bois ou d'osier, à la corpulence du roi, est recouvert de cuir. Ce modèle est fabriqué et apprêté, à la "fisionomie et corpulance du roy", "faicte apres le vif et le naturel". Il représente le monarque vivant, dans sa toute sa majesté.
Comment s'y prend t-on ? A partir d'un masque mortuaire moulé sur le visage du roi, est réalisé un masque de cire coloré et les yeux ouverts, pour donner le sentiment de vie à la physionomie du défunt. Les mains sont également de cire. "La remenbrance" (l'effigie) revêtue du manteau du sacre, de velours violet, parsemé de fleur de lys d'or. la tête ceinte de la couronne, tient dans ses mains le sceptre et la main de justice.
Charles V avait demandé, le premier, que le visage de son gisant soit sculpté de son vivant pour qu'il soit conforme à ses traits. Le premier masque mortuaire réalisé pour conserver le visage d'un roi, est celui de Charles VI, qui servira au r&alisme de son effigie.
Dans son journal, le bourgeois de Paris commente l'évènement "Le roi était représenté en effigie sur son cercueil, largement couché en un lit, le visage découvert, couronné d'or, tenant en une de ses mains un sceptre royal, et en l'autre une manière de main faisant la bénédiction de deux doigts, et ces doigts étaient dorés et si longs qu'ils arrivaient jusqu'à sa couronne".
Enguerran de Monstrelet, témoigne également sur l'ensevelissement de Charles VI, en mentionnant l'effigie."
"Le corps estait sus une litière moult notablement, par dessus laquelle avait ung pavillon de drap d'or à ung champ vermeil d'azur, semé de fleurs de lys d'or. Par dessus le corp avait une pourtraicture faicte à la semblance du royu, portant couronne d'or et de pierres précieuses moult riches, tenant en ses mains gants blancs et anneaux moult bien garnis de pierres précieuses, et estoit icelle figure vestue, à justes manches et un mantel pareil fourré d'hermines et si avait ung chausse noire et un soulier de veluel d'azur, semé, de fleurs de lys d'or".
Avec la mort de Charles VI, les usages établis à l'occasion de la mort d'un roi, s'enrichissent d'une nouvelle scénarisation des funérailles royales. A partir de cet événement, les juristes français intellectualisent puis codifient le rite mortuaire. Au-delà d'un protocole pouvant être évolutif, les obsèques des souverains, loin du monde des ombres, dans une dynamique d'étatisation, sont pensées et organisées pour assoir le règne à venir.
Le cérémonial mortuaire qui s'ensuivra reposera principalement sur un "dédoublement" du corps royal, avec comme substitut la "remembrance" du souverain.
La symbolique des funérailles visait à souligner notamment que le corps physique et le corps politique des rois étaient distincts. L'enveloppe mortelle était corruptible ; le second, sacré et inviolable, était le symbole d'un État intemporel. Le corps périssable était déposé dans son double cercueil de plomb et de bois. Ce dernier, recouvert d'un drap précieux, recevait allongée au-dessus "la ressemblance dudict roy faicte en cire". "[...] "revêtue des ornements de la souveraineté".
Le roi ne meurt jamais en France et le trône n'est donc pas vacant. Le double du roi au visage de cire versicolore est servi comme à l'accoutumé, l'était le roi vivant. Honorée et servie comme s' il s’agissait du roi, deux repas par jour sont apportés dans la salle où l'effigie a été couchée sur un lit de parade, tant que la dépouille demeure en son palais.
En mourant on devient une contrefaçon, car celui qui n'est que la contrefaçon d'un homme c'est celui qui n'a pas la vie d'un
homme. Mais demeurer en vie en contrefaisant la mort ce n'est pas être une contrefaçon mais réellement l'image véridique et parfaite de la vie. William Shakespeare.Henri IV.Scène
V,4.
Quand la dépouille de Charles VI quitte l'Hôtel de Saint-Pol, pour la première fois apparait dans le cérémoniel funéraire français une effigie à "la semblance" du défunt.
Ce mannequin de bois ou d'osier, à la "fisionomie et la corpulence du roi, est recouvert de cuir.
Lors de la translation du roi à Saint-Denis, l'effigie traversait Paris, allongée sur un catafalque. Le visage en cire polychrome donne le sentiment que le roi se repose, prêt comme le jour de son sacre, à traverser sa capitale, pour une seconde entrée solennelle. La couronne sur la tête, les mains croisées sur la poitrine (elles sont aussi en cire) on a posé à côté "les Honneurs" : à la droite le sceptre et l'épée et côté gauche, la main de justice.
Les "Hannouars" portent le corps du roi (briseurs de sel- aux funérailles de Charles VIII les hanouars perdent le privilège de
porter le corps du roi, ils le retrouvent sous Louis XII), le macchabée étant enfermée dans ses deux cercueils, cachés sous l'effigie, à la "fisionomie et corpulance du roy", "faicte apres le
vif et le naturel". Les présidents des Parlements, représentants l'institution royale, au service d'une monarchie impérissable, ne portait pas de deuil, alors qu'ils entouraient le
catafalque vers Saint-Denis.
Le roi "vivant" ne porte pas le deuil (en général il s'habille en violet à cette occasion) et n'est pas présent aux obsèques de son prédécesseur. "Caché" il n'apparaitra en public, que lorsque son devancier sera inhumé, et que dans le caveau des cérémonies son avènement sera proclamé.
En 1498, lors de la mort de Charles VIII, le Parlement de Paris considère l'effigie comme un être vivant, et le rituel de servir le prince comme s'il était vivant, est un dû à un roi encore vivant.
A l'origine, l'effigie représente le monarque mort comme un défunt mais en 1498 le Parlement de Paris considère l'effigie comme un être vivant, et le rituel comme un service dû à un roi encore de ce monde. Pour que l'événement soit crédible, le nouveau souverain doit être absent des funérailles de son prédécesseur car sa présence aurait imposé deux rois de France au peuple : l'un vivant mais non couronné, l'autre couronné mais décédé. Dans le passé, des circonstances avaient empêché certains rois de participer aux funérailles de leur prédécesseur ; les exigences du cérémonial les obligeaient désormais à le faire.
Les effigies funéraires des rois de France semblaient plus réalistes grâce à l'utilisation de masques mortuaires qui, à partir de 1498, furent rendus plus vivants encore lorsque, sur le visage de cire, les yeux parurent ouverts (fig. 4) u. Le mannequin funéraire était revêtu de tous les insignes de la royauté, unique occasion après celle du couronnement.
Avant 1515, durant la procession des funérailles, l'effigie est placée sur le cercueil renfermant le corps ; à partir de cette date, effigie et corps sont transportés séparément. Le corps apparaît le premier, sur un catafalque drapé de noir ; l'effigie suit, portée en triomphe sous un dais, privilège réservé, à l'époque, au seul roi (fig. 5). Désormais, l'effigie ne se substitue plus au défunt ; elle est, en quelque sorte, le vivant. Le roi possède donc deux corps lors de la procession des funérailles : l'un, enfermé dans un cercueil et bientôt enchâssé à Saint-Denis, la nécropole royale ; l'autre, une image de lui-même qui paraît éclatante de vie et qui représente la dignité royale abstraite qui ne meurt jamais (fig. 5)12.
En 1547, lors des funérailles de François Ier, l'exposition contrastée du cercueil et de l'effigie fut mise en scène pour la
dernière fois. Les funérailles furent retardées pour des raisons pratiques, mais cercueil et effigie étaient déjà dans un palais, dans les faubourgs de Paris, prêts à gagner Notre-Dame, puis
Saint-Denis. Pour occuper cette attente, on exposa successivement l'effigie et le corps, dans une mise en scène théâtrale. D'abord, l'effigie royale fut présentée reposant sur un lit de parade
dans la salle d'honneur ornée avec éclat, et des repas furent servis en sa présence (fig. 6)13. L'un des participants aux funérailles de François Ier raconte que :
"les trois services de ladicte table continuez, avec les mesmes formes, cérémonies & essais, comme ils se souloyent faire en la vie du dict Seigneur, sans oublier ceux de vin, avec la présentation de la coupe aux endroicts & heures, que le dict Seigneur avoit accoustumé de boire deux fois à chascun de ses repas14.
Ce rituel dura une semaine, puis la mise en scène changea totalement en une nuit. Les tentures aux couleurs vives furent recouvertes de draperies noires et l'effigie couchée fut remplacée par le cercueil voilé dans une chapelle ardente ; la salle d'honneur était devenu une salle de deuil (fig. 7)15.
Dans les écrits juridiques français de cette période, l'effigie s'identifie à la Justice, principale fonction royale qui ne meurt jamais. A la même époque, la fiction légale des « Deux Corps du Roi » apparaît chez les juristes anglais. En 1562, les légistes de la couronne indiquent que le Roi possède deux Corps, un corps naturel et un corps politique. Son Corps naturel... est mortel, sujet à toutes les infirmités naturelles ou accidentelles..."
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