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Par un heureux présage, Eugénie de Montijo naît le 5 mai 1826, cinq ans jour pour jour après le décès de sa Majesté l'empereur Napoléon Ier le 5 mai 1821 sur l'île de Sainte Hélène.
Dès sa prime enfance, Eugénie reçoit une éducation profondément marquée par le souvenir glorieux du Premier Empire.
Son père Cipriano de Palafox y Portocarrero, acquis à la cause bonapartiste et indéfectible soutien de l'Empereur, combat aux côtés du roi Joseph Bonaparte qui règne de 1808 à 1813 sur l'Espagne.
Stendhal l'instruit, également, sur les hauts faits militaires qui marquèrent l'ère napoléonienne.
Eugénie possède tous les atouts et qualités indispensables pour conquérir le cœur de Napoléon III.
Séduit et transporté par la beauté d'Eugénie, l'Empereur fait une cour assidue en prétextant maintes occasions pour converser et témoigner sa passion mais essuie une fin de non recevoir pendant quelques mois.
Au cours d'une promenade, Eugénie s'extasie de la beauté d'un trèfle recouvert de rosée. L'Empereur, épris, s'empresse d'aller demander à la maison Chaumet de réaliser une broche imitant un trèfle en diamant et lui offre.
Fascinée, Eugénie accepte la demande en mariage de sa Majesté l'empereur Napoléon III mais fidèle à sa foi catholique, elle refuse de céder à ses privautés.
Alors l'Empereur lui demande par où passe le chemin de sa chambre. Et Eugénie par une formule lapidaire lui assène : « Par la chapelle Sire ! ».
Napoléon III passe outre les objections et antipathies publiques formulées à l'égard de sa future épouse.
« Le bureau du Sénat, le bureau du Corps législatif et MM. les membres du Conseil d'Etat se réuniront samedi aux Tuileries afin d'y recevoir de l'Empereur une communication relative à son mariage. »
Moniteur du 19 janvier 1853
Le 22 janvier 1853, dans la salle du Trône, les ministres, les maréchaux et les grands Corps de l'Etat représentés étant réunis, Napoléon III se lève et prononce son discours :
« Je me rends au vœu si souvent manifesté par le pays.
Celle qui est devenue l'objet de ma préférence est d'une naissance élevée. Française par le cœur, par l'éducation, par le souvenir de sang que versa son père pour la cause de l'Empire, elle a, comme Espagnole, l'avantage de ne pas avoir en France de famille à laquelle il faille donner des honneurs et dignités. Douée de toutes les qualités de l'âme, elle sera l'ornement du trône comme aux jours du danger, elle deviendrait un de ses courageux appuis. Catholique et pieuse, elle adresse au Ciel les mêmes prières que moi pour le bonheur de la France. Gracieuse et bonne, elle fera revivre dans la même position, j'en ai le ferme espoir, les vertus de l'Impératrice Joséphine.
« Je viens donc, Messieurs, dire à la France : j'ai préféré une femme que j'aime et que je respecte à une femme inconnue dont l'alliance eût eu des avantages mêlés de sacrifices. Bientôt, en me rendant à Notre-Dame, je présenterai l'Impératrice au peuple et à l'armée. »
Alexandre Dumas parle d'un « triomphe de l'amour sur les préjugés, de la beauté sur la tradition, du sentiment sur la politique. »
L'impératrice Eugénie, hautement consciente des devoirs et des obligations de sa charge écrit à sa sœur Paca, duchesse d'Albe :
« A la veille de monter sur l'un des plus grands trônes d'Europe, je ne puis me défendre d'une certaine terreur. La tâche est immense. »
« Deux choses me protégeront, je l'espère : la foi que j'ai en Dieu et l'immense désir que j'ai d'aider à de malheureuses classes dénuées de tout, même d'ouvrage. Si le doigt de la Providence m'a marqué une place si élevée, c'est pour servir de médiatrice entre ceux qui souffrent et celui qui peut y porter remède.»
Le 30 janvier 1853, en souveraine exemplaire, soucieuse de ne pas heurter ses sujets et de rassembler tous les Français, l'impératrice Eugénie, sur le parvis de Notre-Dame, accomplit un geste éclatant en se retournant vers la foule à laquelle elle adresse une révérence. Conquise par cet insigne acte, la foule déclame pour la première fois : « Vive l'Impératrice ! »
A l'occasion de son mariage, la ville de Paris voulait offrir à l'impératrice Eugénie une parure de diamants valant six-cent mille francs. Sa foi catholique vécut à chaque instant la conduit à demander que le montant de la somme soit consacrée à la création d'une maison d'éducation de jeunes filles pauvres à laquelle son nom sera donné. De même, l'Impératrice consacre la dot que lui assigne l'empereur Napoléon III à des œuvres de bienfaisance.
Mère remarquable
Bien que le mariage de l'empereur Napoléon III conforte le régime, la stabilité et la continuité des Institutions impériales infèrent la naissance attendue d'un héritier que la comtesse Tascher de la Pagerie relate ainsi :
« Chacun reste collé aux fenêtres, regardant la cour des Tuileries dans laquelle des gens vont et viennent, s'agitent en tous sens. Nous fixions les fenêtres du palais dont les taches lumineuses dans la nuit semblaient des signaux qui nous avertissaient que le moment était proche. »
La naissance du Prince impérial,le 16 mars 1856, prénommé Napoléon Eugène Jean Joseph Louis, jour des Rameaux, joie pour la France, salué par les cent-un coups de canon protocolaires, suscite chez Théophile Gautier des vers laudatifs :
C'est un Jésus à tête blonde
Qui porte sa petite main
Pour globe la paix du monde
Et le bonheur du genre humain.
Baptisé le 14 juin 1856 dans l'euphorie d'un régime impérial durablement établi et dans le faste d'une cérémonie grandiose précédée des vivats de la foule nombreuse amassée tout au long du cortège impérial, manifestations splendides du soutien indéfectible des Français, sujets révérents à leurs Majestés impériales et au Prince héritier, qui exprime sa liesse en offrant à son Altesse impériale leurs hommages et leurs suffrages en scandant avec bonheur : « Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le Prince impérial !»
L'impératrice Eugénie s'occupe personnellement de l'éducation de son fils.
Profitant de l'essor de la photographie, notre souveraine apparaît sur de nombreux clichés dans une attitude très maternelle.
L'héritier du trône impérial se voit confié aux bons soins d'une nurse anglaise : miss Shaw qui lui apprendra l'anglais placée sous l'autorité de l'amirale Bruat (1821-1898) née Caroline-Félicie Peytavin (veuve de l'Amiral Armand-Joseph Bruat décédé le 14 mars 1855 lors de la campagne de Crimée) titrée « Gouvernante des enfants de France » assistée de deux sous-gouvernantes, également veuves de soldats prestigieux morts lors du siège de Sébastopol (1855), mesdames Bizot et de Brancion. La santé de son Altesse impériale est surveillée, c'est une nouveauté, par un pédiatre, le Docteur Barthez.
A partir de l'âge de sept ans, Francis Monnier (1824-1875) devint son précepteur mais sera remplacé sur les conseils de Victor Duruy, en 1867 par Augustin Filon (1841-1916), âgé de vingt-six ans, répétiteur, placé sous l'autorité du gouverneur Charles-Auguste Frossard (1807-1875) nommé gouverneur de son Altesse le Prince impériale, qui interviendra ponctuellement et, se dévouera, dès le premier jour, à la personne du Prince.
Lors du séjour du couple impérial à Brest, le 9 août 1858, le maire de la ville rend un bel hommage à l'Impératrice qui a donné un héritier à la dynastie impériale et à l'Empire.
« Quant à vous, Madame, vous avez entouré le trône de trop d'actions charitables, de trop de qualités précieuses et de charmes naturels pour ne pas rencontrer sur le sol armoricain où le culte de la loyauté est traditionnel, toute la profonde et respectueuse affection dont vous devez être l'objet. La Providence, en vous accordant un fils, n'a pas seulement voulu flatter votre cœur d'Impératrice et sourire à votre tendresse de mère, elle a prétendu faire d'avantage pour tout un peuple Celle dont le bonheur de famille devenait un gage de sécurité pour l'avenir de la France, et dont les vertus bienfaisantes avaient déjà su contraindre les plus malheureux à la bénir. »
Mère exemplaire, l'impératrice Eugénie voit son fils plusieurs fois par jour, s'informe régulièrement de ses progrès et de son état de santé, prenant elle-même soin de lui lorsqu'il est souffrant.
L'impératrice Eugénie et le Prince impérial entretiendront toujours un lien fusionnel qui s'exprime au travers de leurs correspondances régulières où son Altesse impériale révèle son amour filial en écrivant : »Maman », « Ma chère maman », « Votre fils Louis. »
Ambassadrice éminente des succès de l'Empire
Souveraine consciente des changements spectaculaires engendrés par la Révolution industrielle encouragée intelligemment par la politique idoine de l'empereur Napoléon III, l'impératrice Eugénie visite grâce au développement prodigieux et bénéfique du chemin de fer, qui trace un réseau dense et efficient de transports aisés et véloces, avec l'Empereur les villes et les usines, creusets des nouvelles industries en plein essor.
Reflet accompli de l'Empire, l'impératrice Eugénie s'investit totalement aux événements qui oeuvrent pour la gloire du régime.
Au printemps 1855, la souveraine fit les honneurs de l'Exposition universelle où vint-mille participants exposent les produits de l'art et de l'industrie.
D'une dignité naturelle, l'Impératrice apparaît vêtue de toilettes d'apparat, velours et brillants, diadème sur la tête et manteau de cour aux épaules.
Un contemporain subjugué par la prestance naturelle de l'Impératrice écrit :
« Eh bien oui, elle était très belle. Là sous les lumières d'innombrables bougies qui moiraient sa chair et rendaient plus chaud l'or de sa chevelure dont les boucles, sous le diadème, tombaient en cascade sur un dos impeccable, montrant des épaules au galbe parfait, des bras marmoréens qui sortaient de la dentelle du corsage, ronds et purs, sans s'alourdir vers le haut, elle semblait avoir été créée pour le rôle qu'elle jouait. Lorsqu'elle plongeait en ses trois révérences protocolaires, l'une adressée aux princes, l'autre aux diplomates, la dernière aux invités, on avait l'impression d'un chef-d'oeuvre de grâce et de dignité... Avec son sens inné de l'élégance, elle s'habillait merveilleusement bien. »
L'industrie textile en forte expansion trouve en la personne de l'impératrice Eugénie une ambassadrice de l'excellence du savoir-faire manufacturé, miroir éclatant de la prodigieuse croissance économique qui irrigue tout le Second Empire car ses toilettes, qualifiées par elle-même de tenues de travail, de toilettes politiques aux teintes inédites et infinies, fruits de l'industrie chimique en complets bouleversements, notamment, élaborées par le chimiste allemand August Wilhelm von Hofmann (1818-1892) et par son élève l'Anglais William Perkin (1838-1907). Hofman découvre l'aniline (composé chimique de base de la première génération des colorants de synthèse (1856-1870). Et Perkin découvre la mauvéine, au succès retentissant en France, ouvrant la voie à l'élaboration des colorants synthétiques aux couleurs inédites, à la tenue et à l'éclat quasi inaltérable.
Notre souveraine, également, parée de dentelles aux motifs toujours renouvelés et d'accessoires chatoyants et coquets (gants, réticules, aumônières, bijoux fantaisies, chapeaux, ombrelles, châles) impulse un développement majeur dans la production de ces produits qui dupliqués à l'infini via le processus avant-gardiste de la standardisation offre, désormais, la possibilité de fabriquer et de générer, continuellement et exponentiellement, de nouvelles frivolités grâce aux usines, vaisseaux amirales d'une mécanisation prodigieuse, essaimées partout en France.
Incarnation des succès pléthoriques des nouveautés et des innovations de la mode vestimentaire féminine, l'impératrice Eugénie instille chez les femmes l'inédit désir de consommer, l'envie et le plaisir de se procurer les articles à la dernière mode, dorénavant, attirées par la profusion immodérée d'articles manufacturés déversés dans les Grands Magasins, corne d'abondance de la prospérité qui enthousiasme la France impériale.
Ces temples d'Hermès, aux concepts révolutionnaires et à l'architecture novatrice avec l'emploi des nouveaux matériaux la fonte et l'acier permettant d'alléger les structures invitent la lumière à éclairer cette cathédrale de la profusion où les joyaux manufacturés éblouissent l'écrin scintillant du gynécée des réjouissances où les femmes avec délectation adoubent ce sanctuaire de la consommation en l'honorant de leurs oblations d'adoratrices étourdies par ce maelström de la surabondance.
Objet de philippiques et de diatribes infondées qui dénoncent un soi-disant goût immodéré pour le luxe et affublée éhontément des sobriquets de Falbala Ier, Fée chiffon, l'impératrice Eugénie dissipe ces injures car vêtue selon son rang, notre souveraine s'emploie à porter des robes qui glorifient les performances et prouesses techniques et innovantes de l'industrie textile qui connaît sous le Second Empire simultanément retentissements et triomphes nationaux et internationaux.
Charles Frédérick Worth (1825-1895), présenté par la princesse Pauline de Metternich (épouse de Richard de Metternich ambassadeur d'Autriche en France) à l'impératrice Eugénie, reçoit, en 1864, le privilège d'être le fournisseur exclusif de la cour et breveté couturier de sa Majesté l'Impératrice, élabore le concept novateur de haute couture qui ajoute sa réussite à l'économie de l'industrie textile.
Les créations de Worth mises en lumière par l'Impératrice se retrouvent proposées d'une manière spécifique dans les Grands Magasins.
Cette mutation des habitudes sociales soutient et galvanise l'impétuosité et l'audace des entrepreneurs, véritables capitaines d'industrie et édificateurs d'empires industriels tels Emile Pereire (1800-1875) et Isaac Pereire (1806-1880) frères qui investissent d'énormes capitaux dans le secteur des chemins de fer, les assurances et qui fondèrent le Crédit immobilier, tel le banquier James de Rotchschild (1792-1868) qui prêta de l'argent à l'Etat pour financer les Grands Travaux urbains, tels Eugène Schneider (1805-1875) qui fit fortune au Creusot dans l'industrie sidérurgique et occupa la présidence du Corps législatif de 1867 à 1870.
Les séries : l'intronisation désirée à la cour impériale
L'impératrice Eugénie soutient admirablement le régime impérial et la politique de l'empereur Napoléon III en organisant, dès 1856, au palais de Compiègne les célèbres séries, séjours hebdomadaires organisés de septembre jusqu'à début novembre où artistes, savants, hommes politiques, écrivains, entrepreneurs invités par leurs Majestés impériales séjournent une ou deux semaines. L'Impératrice se charge de la délicate besogne de procéder aux invitations. Chaque ministre, chaque ambassade doit avoir son tour ; les conseillers d'Etat, les sénateurs, les députés, les académiciens, le corps diplomatique, l'armée disposent également du leur et il faut que nul ne pût se croire moins favorisé que ses collègues.
Les invitations aux séries, must de la vie de la cour impériale, sont attendues fébrilement car côtoyer leurs Majestés impériales et espérer pouvoir dialoguer, éventuellement, avec les souverains qui se tiennent dans le salon de famille où leur service d'honneur introduit les personnes avec lesquelles ils désirent un entretien, honneur suprême, permet aux invités d'exposer leurs requêtes, problèmes et de relater les conséquences des décisions prises par l'Empereur et le Gouvernement dans un domaine précis.
L'adresse d'une invitation aux séries envoyés aux domiciles des personnes conviées à ces séjours impériaux offrent reconnaissance et honneur. Les longues enveloppes cachetées de cire rouge et teintées de bleu qui contiennent les précieuses invitations sont expédiées aux quatre coins de la capitale. Rendez-vous est donné à leurs destinataires, tel jour et à telle heure, à la gare du Nord où un train spécial leur est réservé.
Un contemporain enthousiasmé d'être reçu quelques jours au palais impérial de Compiègne se livre à un panégyrique épistolaire où unissant sa joie et sa déférence, écrit :
« Lorsqu' arrivait aux adresses personnelles le velin attendu marqué aux armes de l'Empire, et faisant connaître qu'on était prié d'assister aux chasses de Compiègne, c'était un vif émoi chez les personnes favorisées. Se trouvait-on hors de Paris attardé dans la montagne ou à la mer, on se hâtait de clore une villégiature trop prolongée. Et l'on ne touchait barre que pour repartir en grande diligence. Quel sujet d'attraction ! On aurait là-bas son logement, sa place au spectacle, en la loge impériale, son rang dans l'équipage des veneurs et des chasseresses et la justification de sa présence parmi tant d'illustres personnages.
Des privilégiés, des habitants du Palais des Tuileries étaient portés à leur destination de plaisance, dans les conditions les plus souhaitables Une grande voiture de Cour était mise à leur disposition pour les conduire à la gare, où devaient se réunir l'ensemble des invités. Un train particulier attendait les hôtes de l'Impératrice. On s'y installait, on partait, on arrivait...Devant le perron chacun mettait pied à terre. On traversait la salle des gardes, et des officiers désignés pour ce soin conduisaient chaque personne à l'appartement, qui lui était destiné ; on s'y reposait un instant, puis on changeait de toilette pour le dîner, qui avait lieu après la présentation dans la salle des Cartes... Tout aussitôt que de luxe déployé ! Quel fracas d'élégances ! Quelle ostentation dans les habits et les parures! On en était ébloui, fasciné. »
Lillie Moulton (1844-1928), épouse d'un diplomate américain décrit son éblouissement lors de son entrée dans le grand salon du palais de Compiègne à l'ouverture d'une série :
« La société se trouve réunie dans cette immense pièce avec ses larges baies donnant sur le parc, son plafond en ogive et ses murailles décorées de tapisseries et de tableaux de prix. A une extrémité du salon, le buste de Madame Mère ; en face, celui de Napoléon Ier.
Tandis que les invités se congratulaient, écrit-elle, le grand maître de cérémonies annonça : « L'Empereur ! »
Des bruissements de soie, des chuchotements légers parcoururent la salle, puis un silence respectueux accueillit le souverain. »
Ce temps de villégiature où le protocole se voit réduit au minimum offre, chaque jour, des activités cynégétiques, des promenades dans la forêt, des visites au château de Pierrefonds en cours de restauration par Viollet-le-Duc. Dans la journée, sauf invitation spéciale, chacun est libre de son temps et choisit les activités qui lui plaisent. Le thé de l'Impératrice servit à cinq heures convie une vingtaine de personnes habillées en tenue de ville qui peuvent, ainsi, converser, aisément, avec l'Impératrice.
Des représentations théâtrales finissent de ponctuer ses séjours qui se révèlent fructueux et essentielles pour asseoir la pérennité de l'Empire. Les séries ne comportent que la seule obligation d' être présent au dîner vêtu d'une culotte et d'un frac pour les hommes et d'une robe de soirée pour les dames.
En habit, la poitrine barrée du grand cordon de la Légion d'honneur, l'Empereur salue ses hôtes, tandis que l'impératrice Eugénie multiplie ces révérences de cour. Puis, offrant son bras à l'Impératrice, tous deux précédés d'un chambellan, s'engagent dans la longue galerie, entre une double haie de cent-gardes, et pénètrent dans la salle à manger. Seuls doivent s'asseoir à droite et à gauche de leurs Majestés impériales les invités désignés. Quant aux autres convives, ils se placent librement. Après le dîner, les députés, sénateurs, hommes d'affaires échangent dans le fumoir et élaborent des alliances commerciales et financières qui promeuvent la prospérité inouïe du Second Empire. Recevoir l'invitation aux séries, sésame prisé, faveur éminente pour les personnes étrangères au sérail de la cour indique la position sociale et l'importance de la personne conviée à ces moments privilégiés.
En 1865, Louis Pasteur (1822-1895), déjà reconnu comme éminent biologiste car nommé, en 1862, à l'Académie des Sciences invité à une série se trouve convié au thé de l'Impératrice et expose à notre souveraine l'état de ses recherches sur les maladies des vers à soie et des vins.
Afin d'étayer son propos, il pratique une expérience sur une grenouille. Captivée par cette démonstration, l'Impératrice se pique le doigt pour que son sang puisse être comparé à celui de l'animal sous le microscope.
Femme de progrès, perspicace et d'une haute sagacité, l'impératrice Eugénie invite l'Empereur à venir voir le laboratoire de Louis Pasteur. Enthousiasmé pas les travaux scientifiques de Pasteur, sa Majesté l'empereur Napoléon III décide de financer les études du père de la vaccination qu'il nomme sénateur à vie pour service rendu à la nation et en récompense pour ses découvertes qui firent reculer, considérablement, les épidémies.
Leurs Majestés impériales, souverains modernes, suggèrent à Louis Pasteur de faire breveter ses découvertes pour obtenir les crédits réclamés par ses recherches.
Honoré par l'intérêt de leurs Majestés impériales et conscient des enjeux de l'impact bénéfique et donc irrémédiable de ses découvertes destinées à enrayer les épidémies, à faire progresser l'hygiène et à accroître l'espérance de vie des Français, Louis Pasteur adresse à sa Majesté l'empereur Napoléon III une réponse qui prouve son attachement à la science pure :
« Le temps est venu d'affranchir les sciences des misères qui l'entravent. Tout nous y invite : l'excitation d'un grand règne et la nécessité de maintenir la supériorité scientifique de la France vis-à-vis des efforts des nations rivales. »
Une souveraine des Institutions impériales et de gouvernement
Souveraine en osmose avec les mutations de la société du Second Empire, l'impératrice Eugénie tient un rôle prééminent lorsqu'elle exerce la Régence. Féministe et consciente du désir de reconnaissance des femmes, reléguées, perpétuellement, dans la sphère compassée du foyer domestique, elle signe un décret nommant pour la première fois une femme, peintre, Rosa Bonheur (1822-1899) chevalier de la légion d'honneur qui reçut de la main même de l'Impératrice la décoration le 10 juin 1865.
Rosa Bonheur
(1822-1899)
Sa Majesté intervient auprès des autorités pour que Julie Victoire Daubié puisse passer les épreuves du baccalauréat qu'elle obtiendra en 1861 et devenir ainsi la première femme titulaire de ce diplôme.
Associée étroitement par Napoléon III à ses décisions politiques, l'impératrice Eugénie inaugure le 17 novembre 1869 le Canal de Suez imaginé et conduit par Ferdinand de Lesseps (1805-1894) son cousin.
A contrario des idées de l'Eglise, l'impératrice Eugénie soutient le travail du Ministre de l'Instruction publique Victor Duruy (1811-1894) en faveur des jeunes filles.
Insigne et digne incarnation de la monarchie impériale
Son empathie naturelle pour les défavorisés se voit rappelée lors de l'allocution prononcée par le duc de Morny en 1862 lors d'un voyage du couple impérial dans le Puy-de-Dôme :
« Pour n'excepter aucun sentiment populaire, les populations saluent avec attendrissement l'Impératrice qui a fait monter la grâce sur le trône et a fait descendre, chaque jour, la charité. »
L'historien Georges Lacour-Gayet (1856-1935) relate un fait qui exprime la compassion de l'impératrice Eugénie. Accompagnée de son écuyer, de son officier d'ordonnance et de sa lectrice, elle se rendit, le 23 octobre 1865, à l'hôpital Baujon, à l'hôpital Lariboisière et à l'hôpital Saint-Antoine. S'arrêtant au chevet des malades et des agonisants, elle prodigue les mots d'espoir que lui inspire son immense piété.
Un alité ne remarquant pas qu'il s'adresse à l'Impératrice lui dit :
« Oui, ma soeur », lui dit un malade.
« Mon ami, lui répondit la sœur de charité, ce n'est pas moi qui vous parle, c'est l'Impératrice. »
L'impératrice interrompit vivement : « Ne le reprenez pas, c'est le plus beau nom qu'il puisse me donner. »
Armand Dayot (1851-1934, critique d'art et historien d'art) souligne l'altruisme de l'Impératrice :
« On peut dire que l'impératrice Eugénie est, auprès de l'Empereur, le ministre de la charité. »
Active pour soulager les misères du peuple, l'épouse de Napoléon III s'investit lors des épidémies de choléra en 1865 et 1866 qui touchent Paris et les villes du Nord notamment Amiens en se rendant au chevet des cholériques.
Altruiste souveraine mue par un lien sponsal avec la France et les Français, l'Impératrice Eugénie visite les malades ignorant les risques de contagion.
Pieuse catholique et conduite par une foi ardente et active, l'impératrice Eugénie œuvre pour la création des fourneaux économiques qui distribuent des repas aux miséreux et vagabonds, se préoccupe du sort des détenus et se rend incognito aux domiciles des nécessiteux en leur distribuant vivres et subsides financiers.
L'héroïsme dans l'affliction de l'exil
A la chute du régime impérial voulu par les républicains le 4 septembre 1870, esseulée et ostracisée, l'Impératrice Eugénie ne peut compter que sur une poignée de fidèles.
Forcée à l'exil, la souveraine se réfugie en Angleterre où par l'intermédiaire du docteur Evans, une résidence se voit mise à sa disposition à Camden Place près de Chislehurst.
L'empereur Napoléon III, libéré de sa captivité le 19 mars 1871, rejoint l'Impératrice et son fils. Frappée par la perte de son époux, l'empereur Napoléon III, le 9 janvier 1873 puis par le décès de son fils, le Prince impérial le 1er juin 1879 qui engagé au sein de l'armée britannique meurt lors d'un combat mené contre les Zoulous en Afrique du Sud, l'Impératrice fait preuve d'un courage et d'une dignité qui force l'admiration car elle n'éprouve ni rancune ni amertume et conserve un indéfectible amour pour la France.
Eprouvée, meurtrie et proscrite par un exil, fruit d'une conjoncture lui échappant, sa douleur et son affliction de quitter la France s'accentuent car la loi d'exil votée le 22 juin 1886 (abrogée le 24 juin 1950) bannit les chefs de famille ayant régné sur la France et leurs héritiers directs dans l'ordre de primogéniture mâle.
Mère aimante, le chagrin de la mort du Prince impérial ne s'atténua jamais.
Le 7 août 1910, l'Impératrice Eugénie, anonyme, visite le palais de Compiègne et voyant l'ancienne chambre de son fils, chancelle, demande à rester seule quelques instants et pleure sous son voile de crêpe noir.
Puis le guide, Franceschini, revient et regardant l'auguste visiteuse s'écria : « C'est l'Impératrice ! »
Une de ses plus belles contributions offerte à sa patrie d'adoption, la France, demeure encore méconnue.
Le 3 octobre 1870, après la déroute de Sedan, l'impératrice Eugénie envoie une lettre au roi de Prusse, où elle le supplie de ne pas démembrer la France. Le monarque lui adresse une missive où il exprime un refus catégorique et annexe de facto l'Alsace et la Moselle afin de créer une zone tampon destinée à prévenir toute agression éventuelle de la France.
En 1918, Clémenceau s'apprête à négocier le retour de ces territoires à la France et cherche des arguments pour justifier sa demande auprès des Américains conviés aux négociations du traité de paix. Grâce à l'action de l'Impératrice qui retrouve le courrier paraphé par le roi de Prusse, Clémenceau peut prouver l'agression subie malgré toutes ses requêtes et, donc, alléguer ses doléances.
Malgré l'insigne action patriotique qui permet à la France de récupérer les régions perdues, Clémenceau refuse, lors des funérailles de l'impératrice Eugénie, l'envoi d'une délégation de représentants du Gouvernement.
Nonobstant, l'oubli délibéré des Français, l'impératrice Eugénie voyage énormément, encourage les nouvelles inventions, notamment en achetant une automobile et en se faisant installer le téléphone et l'électricité dans sa résidence de Farnborough. Au cours de la Première Guerre mondiale, Eugénie transforme sa propriété en hôpital de campagne.
L'impératrice Eugénie parraine Marconi inventeur de la radio et de la télégraphie sans fil.
L'impératrice Eugénie trépasse le 11 juillet 1920 à Madrid et est inhumée aux côtés de son époux et de son fils, quelques jours plus tard, dans la crypte de l'abbaye Saint Michel de Farnborough qu'elle avait fait construire.
Sa Majesté l'impératrice Eugénie, souveraine unique et d'exception, abonda la France tout au long de son éminent règne et de celui de son époux l'Empereur Napoléon III d'un prestige et d'un éclat somptueux enviés par toutes les nations européennes.
Pieuse, son bréviaire fut le bonheur de la France pour laquelle elle officia avec abnégation et dévouement.
2023 marque le cent-cinquantième anniversaire du trépas de sa Majesté l'Empereur Napoléon III auquel il faut y associer notre Impératrice qui garda toujours présent en son cœur et sa pensée le règne grandiose et apothéotique de son époux.
A la fin de sa vie, soucieuse de réparer les catilinaires servies à l'encontre de l'Empereur, l'impératrice Eugénie écrit avec raison :
« Il a souffert les pires misères du corps et l'esprit qui aient jamais été infligées à un homme. Un cri de justice ne s'élèvera-t-il pas de cette France qu'il a tant aimée ? »
2022 © Jérôme Pinçon
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